affiche film

© Docks 66

JE SUIS LE PEUPLE


un documentaire de Anna Roussillon

De nombreux villageois des campagnes du sud de l’Egypte – et notamment le paysan Farraj, protagoniste de ce film – suivent sur leur télévision la révolution qui s’empare soudain de leur pays, marqué par le soulèvement populaire de la place Tahrir. L’espoir grandit lorsque le président Moubarak est renversé et que l’élection de Morsi est validée. Mais les désillusions vont vite s’installer au vu d’un changement qui peine à s’installer dans ce pays…


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Photo film

Salutaire, mais pas révolutionnaire

Il y a d’abord dans ce documentaire d’Anna Roussillon un geste de cinéma qui, dès les premières scènes, donne une vraie sensation de nouveauté. Aborder le déroulement d’un changement politique à travers le regard de ceux à qui l’on ne donne pas toujours la parole, ce n’est pas nouveau en soi. Mais voir des gens aussi nourris d’espoirs et de désillusions – les secondes suivant les premiers – apparaître face caméra en se jouant du support filmique, allant même jusqu’à interpeller la réalisatrice elle-même ou à donner l’impression de « jouer un rôle », est assez surprenant (dès le début, une femme interviewée plaisante en faisant mine de lancer une pierre vers la caméra). Ce que l’on verra ici ne sera donc pas vraiment de l’ordre de la pure captation d’une révolution en marche – même s’il y a beaucoup de cela. Il s’agira plutôt d’un dispositif documentaire visant à créer une interactivité quasi totale entre le filmeur et le filmé, avec un maximum de pertinence dans la parole.

Idée judicieuse : pour mieux traduire le passage de la liesse populaire vers la désillusion généralisée, Roussillon se positionne dans un cadre précis, celui des médias, qui devient ici une grosse machine à mouliner de l’ironie (« Si tu veux voir la révolution, tu n’as qu’à la regarder à la télé ! » lance Farraj à la réalisatrice lors d’un dialogue sur Skype). "Je suis le peuple" fait donc état d’une frontière virtuelle : d’un côté une marée humaine qui envahit la place Tahrir, de l’autre les « autres » qui contemplent ce bouleversement politique par l’intermédiaire d’un média. La réalisatrice recueille donc autant d’opinions que possible, avec un enthousiasme parfois très fort, afin d’installer un vrai espace de dialogue qui va à l’encontre des idées reçues. La critique y est aisée, directe, sans chichis ni tabous, et met clairement en lumière le fatalisme qui pousse hélas les idéaux à ne pas faire beaucoup de poids face à la réalité. Mais ce ton corrosif, en tant que tel, privilégie le trait d’esprit et l’ironie militante, malgré la lucidité de chacun sur un pays où le changement va moins vite que la valse de ses dirigeants. Tel est le principal atout de ce documentaire, salutaire de par son dispositif original sans être pour autant une révolution.

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