© Universal Pictures International France
Digne héritier de Jason Bourne, Aaron Cross est un super-agent comme lui, membre d’un programme annexe à celui de Treadstone. Quand Bourne revient sur le devant de la scène pour se venger de ceux qui veulent l’éliminer, les agences gouvernementales décident de fermer le programme Outcome en se débarrassant de tous les agents sur le terrain. Mais Cross n’a pas l’intention de se laisser prendre…
En hommage aux premiers plans de « La Mémoire dans la peau », ce nouvel épisode commence avec un corps étendu, immobile, dans l’eau. Est-ce celui de Jason Bourne / Matt Damon, que l’on avait découvert ainsi en difficulté dans le film de Doug Liman, en 2002 ? Non : le corps bouge et se déploie, et c’est le visage d’Aaron Cross / Jeremy Renner qui sort de l’eau, après qu’il a récupéré un tube attaché au fond de la rivière. L’entrée en matière est donc un trompe-l’œil. Contrairement à Jason Bourne criblé de balles et presque mort au début de « La Mémoire dans la peau », c’est ici un Aaron Cross vigoureux et imposant qui s’installe en bonne place dans la fiction. C’est la façon qu’a Tony Gilroy de nous dire que, cette fois, avec lui-même à la mise en scène, il ne sera pas question de suivre un mort en sursis mais un personnage bien vivant, bien portant et bien décidé à imposer son physique athlétique dans chaque plan.
Parmi une foultitude de comédiens potentiels, c’est Jeremy Renner qui a été choisi pour succéder à Matt Damon dans le rôle du super-soldat tiré de l’imagination du romancier Robert Ludlum, dans cet épisode réalisé et coécrit par Tony Gilroy. Depuis « Démineurs » où il cassait la baraque, Renner est devenu le chouchou du cinéma d’action américain, à tel point qu’il s’est d’ores et déjà intégré à trois franchises possibles : un épisode de « Mission Impossible » pourrait voir le jour, centré autour du personnage qu’il incarne dans « Protocole Fantôme » ; Hawkeye devrait revenir dans la suite des « Avengers » de Joss Whedon ; enfin, le super-agent Aaron Cross est censé lancer une nouvelle série de « Jason Bourne » si cet opus parvient à faire déplacer les foules. Ce choix n’étonnera personne, tant Renner a su prouver qu’il était un acteur charismatique, à la fois impressionnant physiquement et subtil à ses heures – voir son étonnante performance d’écorché vif dans le film oscarisé de Kathryn Bigelow. Avec la toujours parfaite Rachel Weisz, ils forment le duo charmeur de cet « Héritage » qui aura su, pour le moins, jouer de son casting pour attirer l’attention.
Sur le papier, c’était donc une excellente idée. Tony Gilroy, scénariste des trois premiers épisodes, à la mise en scène, après Doug Liman et surtout Paul Greengrass qui a donné à Jason Bourne sa dimension de parangon du héros de film d’action. Son frère Dan a relevé les manches pour l’assister dans l’écriture du premier script original, totalement indépendant de la trilogie écrite par Ludlum. Et toute une batterie de personnages de « La Mort dans la peau » et « La Vengeance dans la peau » reviennent jouer les trouble-fêtes de passage : Pam Landy (Joan Allen), Noah Vosen (David Strathairn), le Dr. Hirsch (Albert Finney) ou encore le journaliste Simon Ross (Paddy Considine) pour une brève apparition. Le nombre des programmes de super-soldats étant extensible à l’infini, le scénario nous présente cette fois les membres de « Outcome », des types super-entraînés lâchés aux quatre coins du monde pour dézinguer du vilain quand le besoin s’en fait sentir, sous le contrôle médical de l’équipe de la biologiste Marta Shearing (Weisz) qui leur fournit des super-cachets. La « déficience » en cours de l’agent Bourne, complètement hystérique, force l’agence gouvernementale responsable à fermer le programme, sous la férule d’Eric Byer (Edward Norton, transparent). Découvrant que « fermer le programme » est un euphémisme pour « tuer les agents en service », Aaron Cross a bien l’intention de se défendre et de rétablir ses droits, comme son illustre compère.
La déception semble bien à la mesure de l’immense attente. Renner et Weisz ont beau être impeccables et criants et réalisme, ils ne peuvent se débattre longtemps dans les vagues d’un scénario indigent qui – c’est le comble – ne raconte absolument rien malgré sa durée de cent vingt minutes. Les enjeux manquent singulièrement de clarté, les mystères ne trouvent jamais leurs solutions, et de temps à autres les responsables – la joyeuse bande composée par Albert Finney / Stacy Keach / Edward Norton – montrent leur bouille et déclament des sentences prétentieuses pour nous faire croire qu’ils contrôlent une situation sibylline, comme dans une série B des années quarante avec un ou deux décors de carton pâte et quelques écrans d’ordinateur pour faire « moderne ». Constamment, les événements tombent à plat : que fait Aaron Cross en Alaska à lutter contre les éléments ? Il a juste été puni ! Le génial Oscar Isaac fait une apparition en super-agent ? Il fait juste la popote cinq minutes avant de disparaître. Et le pire, c’est que Tony Gilroy se permet de boucler son film comme Doug Liman le faisait pour « La Mémoire dans la peau », c’est-à-dire sans conclure son intrigue, laissant le champ ouvert pour une suite. Dix ans après le premier opus, c’est vraiment prendre le spectateur pour une buse.
On découvre aussi que Tony Gilroy, s’il peut se montrer très bon metteur en scène – pour « Michael Clayton » et « Duplicity » – n’a pas vraiment la fibre pour ce qui est du film d’action. La platitude de sa mise en scène, supportable pendant la majeure partie de l’histoire, explose dans la poursuite finale aux Philippines. Celle-ci dispose pourtant de toutes les qualités nécessaires : un endroit exotique, Manille ; un rythme haletant ; une certaine audace narrative, avec son enchaînement de poursuites – Aaron fuyant la police sur les toits, Marta dans les rues, et un bon gros méchant muet et taciturne à leurs trousses. Le problème réside dans le découpage et le montage, certains passages étant proprement illisibles et certains plans tout à fait incongrus. À la fin, on serait bien en peine d’expliquer comment les deux personnages principaux se sont tirés de ce guêpier. On avait beau jeu de reprocher à Paul Greengrass le chaos de ses scènes d’action, pourtant extrêmement minutieuses ; il faut voir celles de Gilroy pour comprendre le sens du mot « brouillon ».
Enfin, on regrettera une carence de taille. La narration de « Jason Bourne : L’Héritage » se place parallèlement à celle de « La Vengeance dans la peau », et la balade montagnarde d’Aaron Cross correspond, en gros, au retour de Jason Bourne à New York dans ce troisième opus. D’où la résurgence de nombre des personnages de ce film, et quelle belle idée ! Mais quid de Matt Damon ? Tout spectateur normalement constitué n’attend qu’une chose : la rencontre monstrueuse entre Cross et Bourne, le moment du passage de témoin entre un héros fatigué et un autre, plein de vigueur, prêt à reprendre la course. L’absence d’un caméo de Matt Damon est inexcusable ; et si l’on peut comprendre que celui-ci ne fasse pas partie d’un projet qu’il avait quitté après le retrait de Paul Greengrass (en attendant, les deux amis ont tourné ensemble « Greenzone », et depuis, Matt Damon a pris quelques kilos pour les besoins de « Nouveau départ »), on ne peut pas comprendre pourquoi Gilroy n’a pas adapté son scénario en conséquence. Quel est l’intérêt de nous faire espérer la lune, quand on ne verra jamais que son ombre ? C’est un peu la métaphore de l’échec de cet épisode, d’ailleurs : des promesses, des promesses, et un résultat très en-dessous des attentes. Peu importe le coût de ses droits de succession, cet héritage ne vaut donc pas tripette.
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