affiche film

© Colifilms Distribution

J'AI OUBLIE DE TE DIRE


un film de Laurent Vinas-Raymond

avec : Emilie Dequenne, Omar Sharif, Anne Canovas…

Récemment sortie de prison, Marie, jeune femme sans passé ni avenir, se rend dans le sud de la France pour y effectuer des travaux saisonniers. Elle y fait la rencontre de Jaume, ancien champion cycliste devenu artiste peintre. Leur relation et la passion qu’ils partagent pour le dessin donnent naissance à une belle amitié…


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Photo film

Souvenir, souvenir

Nous avons de ces comédiennes, en France, qui paraissent ne jamais se préoccuper du support, mais qui s’élèvent inexorablement jusqu’à l’illumination. Peu importe le piédestal, si la statue est belle. Emilie Dequenne est de celles-là, qui resplendissent pareillement dans les bons films et les œuvres médiocres, comme le diamant insensiblement planté sur son écrin ou perdu dans les orties. Emilie Dequenne, qui parcourait, pleine d’insouciance, les travellings d’André Téchiné dans « La Fille du RER », plantée sur sa paire de rollers, maîtresse d’une caméra tentée de la suivre partout, tout le temps, au risque de la devancer, au risque de s’élever au-dessus de la pellicule, survole totalement les scénarios qu’elle incarne tout entiers. On sentait l’actrice perdue, le regard vaguement égaré par les fenêtres du RER ; mais c’était Téchiné qui, fasciné par sa comédienne, en oubliait parfois de regarder devant lui.

« J’ai oublié de te dire », un plutôt joli film, ne serait pas grand-chose sans ses comédiens, et devient tout avec eux. Dequenne sait parfaitement incarner ces personnages égarés, dénués de toute identité propre, qui n’existent qu’en regard de la société qui les construit. Errance de l’enfance. Marie est une déracinée, une sans-famille, une sans-enfance ; la petite Cosette devenue jeune adulte, mais sans avoir rencontré son Fauchelevent ni son Marius. En partant dans le sud, elle tente de laisser derrière elle un passé maigrichon mais déjà trop plein de scories, après être sortie d’une maison de redressement, un endroit où elle avait « du temps pour peindre », comme elle dit, mais où « les profs n’étaient pas géniaux ». Le soleil du Pays Basque se fait métaphore de son espérance en un avenir meilleur et radieux ; les tomates mûres qu’elle ramasse dans son emploi saisonnier soulignent son désir de se lancer dans une vie vraie, charnue, goûteuse. Elle rencontre Jaume, un vieux peintre et ancien cycliste, un homme qui a troqué le guidon pour la palette, le mouvement des jambes pour celui du bras, l’obstination pour la patience. Après avoir vu le monde en roulant le long de ses marges, il veut désormais le reproduire dans les limites d’un cadre.

Leur couple improbable, du vieux réfractaire et de la jeune insolente, fonctionne sur la base d’un partage des couleurs : par leur volonté de produire du coloris, ils s’opposent à ce garçon, ancien petit ami de Marie qui la poursuit jusque dans le sud, et qui ne voit la vie qu’en gris ; et à l’idiot du village, gentil bougre qui ne peint les volets qu’en bleu. Ces gens-là ne voient la vie qu’en monochrome, tandis que Marie et Jaume la veulent éprouver en arc-en-ciel. La beauté réside précisément dans la différence. Alors les protagonistes se hâtent lentement, et d’abord parce que, pour le vieil homme, cette enfant représente plus qu’une élève : elle est un réceptacle, un vase vide qui ne demande qu’à recevoir une âme. Jaume est atteint d’Alzheimer ; il est amené à perdre ce qui construit son identité, tandis que Marie commence à bâtir la sienne. L’immortalité est dans l’évanouissement ; la vie est dans la mort.

Moins réussie, la seconde partie du film, trop académique, fait se succéder les lieux et les événements didactiques de la maladie. Le réalisateur n’essaie plus alors de saisir la poésie de son évolution – perdre la mémoire, c’est aussi la transmettre – mais se contente d’en reproduire platement la succession. Il matérialise ici ce qu’il peignait en métaphore dans sa première partie, et transforme une toile vive en banale nature morte. On regrettera que cette forme de régression plastique, qui accompagne grossièrement le devenir de Jaume, cause un malheureux glissement dans le pathétique.

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