affiche film

© DistriB Films

INSENSIBLES

(Painless)


un film de Juan Carlos Medina

avec : Alex Brendemühl, Tomas Lemarquis, Irene Montalà, Derek de Lint…

Deux histoires se croisent. Dans le présent, David Martel, un neurochirurgien, se découvre atteint d’une maladie incurable ; sa seule chance consiste à demander à ses parents de lui donner un greffon qui peut le sauver. Dans le passé, à la veille de la guerre civile espagnole, des enfants insensibles à la douleur sont internés dans un hôpital des Pyrénées ibériques, où un professeur tente de les aider à vivre au quotidien…


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Photo film

Retour à la douloureuse

Déterrer un passé enfoui : tel pourrait être l’argument commun à la plupart des films de genre espagnols depuis, grosso modo, le début des années 90 et l’émergence de quelques génies de la mise en scène. Depuis que la première génération des « grands » ibériques, Alex de la Iglesia, Jaume Balaguero, Paco Plaza, Julio Medem (dans un autre style), s’est définitivement installée dans le paysage cinématographique, les suivants n’ont été, au mieux, que d’excellents élèves – et, au pire, de vulgaires copieurs. Juan Carlos Medina l’avoue lui-même : à propos de l’Espagne et de son Histoire, Guillermo del Toro (d’origine mexicaine, mais dont le regard s’est posé avec justesse sur la guerre civile espagnole) a déjà dit l’essentiel dans « L’Échine du diable » et « Le Labyrinthe de Pan », deux chefs-d’œuvre difficiles à égaler. Même Juan Antonio Bayona, auteur du très beau « L’Orphelinat », n’avait fait que rendre hommage à ses aînés en mixant les grands thèmes de leurs succès cinématographiques – il y a de ces résumés qui valent bien qu’on se damne, mais ils gardent quelque peu le goût de la répétition. Seule la profondeur du traumatisme des nouvelles générations explique ce besoin psychanalytique de se plonger, encore et encore, dans le passé de son pays, de se faire le médecin légiste d’une Histoire que d’autres auraient voulu qu’on laissât sous terre.

Les films espagnols jonglent avec deux paradigmes : la violence et la famille. Le premier s’exprime à travers la guerre, le meurtre, la torture, la perversion. Le second a pour incarnation l’implosion de l’intimité familiale et la remise en cause des certitudes morales qui y sont liées. La guerre civile et les années du franquisme en sont les deux marqueurs historiques. Les jeunes réalisateurs actuels parlent de cette guerre fratricide qu’ils n’ont pas connue et que leurs grands-parents et parents répugnent à leur relater. Une omerta généralisée s’est installée sur la nation à la mort de Franco, et notamment depuis le vote d’une loi d’amnistie qui, à partir de 1977, a eu pour conséquence de reléguer le passé à sa propre sépulture. Les anciennes victimes souffrent de ne pas voir leurs bourreaux expier, les nouvelles générations peinent à bien comprendre les enjeux de ces événements obscurs. Récemment, le juge Garzon a été relevé de ses fonctions parce qu’il tentait de faire la lumière sur des disparitions d’enfants durant la dictature : l’institution a préféré le faire taire plutôt que de ramener de vieux spectres à la vie, aux dépens des victimes elles-mêmes. Une paix mémorielle achetée au prix fort. C’est ce silence qui explique la profusion de films évoquant ces thèmes. C’est la tentation de la dissimulation qui extrait les vieux secrets de leur tourbe. Quant à son histoire personnelle, c’est toute l’Espagne qui préfère rester insensible – les enfants devenant ici la métaphore des Espagnols eux-mêmes, confrontés à ces maux absolus que sont la guerre, le fascisme, la violence gratuite, la destruction.

Pour son premier long-métrage, Juan Carlos Medina s’est confronté à ces thématiques – de la même façon qu’en psychanalyse, on tue le père pour s’affranchir de son héritage. Il oppose un chirurgien de grand talent, atteint d’une maladie incurable, à l’histoire de plusieurs enfants pendant la guerre civile, enfermés dans un hôpital parce qu’ils souffrent du syndrome de Nishida – une pathologie qui rend les victimes insensibles à toute forme de douleur, ce qui nous vaut d’ailleurs quelques scènes mémorables avec lesdits bambins. Tandis que, dans le présent, le chirurgien creuse dans son propre passé après une révélation parentale, les enfants du passé subissent la répression du directeur de l’hôpital et ses confrontations régulières avec un professeur juif allemand, qui a profité de venir étudier ces malades pour fuir le nazisme, et qui tente, lui, de les aider. Tout spectateur un minimum attentif comprend rapidement qu’un lien d’ordre familial rattache les personnages à travers les âges. Medina joue intelligemment avec ces liens, sans chercher inutilement à vivifier un suspense qui ne casse pas trois pattes à un canard.

L’amateur éclairé laisse rapidement de côté les rebondissements du récit, peu surprenants, pour se concentrer sur l’impeccable mise en scène (si l’on excepte une légère tendance au vain formalisme, notamment lors de l’accident de voiture qui ouvre l’histoire au présent) et la remarquable interprétation des enfants. C’est d’ailleurs la partie « historique » qui attire l’attention, à tel point que l’affaire du médecin devient presque une simple façade, un prétexte narratif visant à révéler des liens familiaux et émotionnels. Toutefois, « Insensibles », malgré ses grandes qualités, paye son manque d’originalité en regard d’une production déjà riche des mêmes thématiques. Quinze ans plus tôt, Medina aurait fait un coup d’éclat. Le film reste cependant un vrai plaisir de spectateur et contentera ceux qui ne connaissent que peu la belle production ibérique de genre.

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