© Mars Distribution
Dans un pensionnat, des fillettes traversent les saisons, en apprenant la danse et les sciences naturelles. Parmi elles, Iris, une nouvelle, Alice, la révoltée, et Bianca, totalement formatée par son école…
Pour son premier long-métrage, Lucile Hadzihalilovic noue emmène loin dans les bois. Dans un espace-temps indéfini où évolue une communauté de très jeunes filles, organisée en cellules hiérarchisées et régie par une hygiène de vie et une série de lois strictes. Entre l’apprentissage des codes, les leçons de sciences naturelles et les exercices d’éducation corporelle, la vie à l’internat s’écoule lentement. Si, une fois le seuil de la puberté franchi, les jeunes filles peuvent quitter l’établissement, toutes ne se résignent pas à attendre l’autorisation pour quitter leur paisible et verte prison. Poussées par la curiosité ou pressentant une vague menace, certaines tentent de fuir, malgré les chiens qui aboient au loin...
D’emblée, cet univers clos et exclusivement féminin, exhale un étrange parfum. Le cérémonial macabre qui accompagne l’arrivée de chaque fillette dans l’institution, l’angoissant dédale de souterrains humides, un visage dissimulé dans les lierres, la traversée nocturne des bois sous les réverbères, l’étang comme lieu de plaisir et comme tombeau, tout concourt à rendre le climat pesant. Une menace opaque, sourde, rôde. Elle émane moins de la nature que des adultes. Physiquement absents, ils ont instauré un système d’interdits qui, pour susciter quelques interrogations, n’en est pas moins scrupuleusement respecté. Représentés par de jeunes éducatrices à la fois rigides et affectueuses chargées de façonner les adolescentes en devenir, les adultes apparaissent aussi comme d’ambigus spectateurs : nostalgiques d’une pureté à jamais évanouie, prédateurs ou voyeurs ? Et comment interpréter la rose lancée à une jeune danseuse par un homme resté dans l’ombre ?
Inutile de chercher à percer le halo de mystère qui enveloppe certaines figures d’Innocence. On ne connaîtra rien de l’origine des fillettes, de la claudication de l’enseignante en sciences ou du mal-être de la prof de danse. On n’en saura pas plus sur les desseins formés par la maîtresse des lieux au sujet de ces « vilaines petites chenilles ». Seule certitude : le film s’inspire de Mine Haha ou l’éducation corporelle des jeunes filles, une nouvelle symboliste de l’allemand Franck Wedekind, connu, à travers le personnage mythique de Loulou, comme pourfendeur des tabous sexuels.
Interrogation sur le bien-fondé des non-dits dans l’éducation, Innocence s’apprécie comme une rêverie grave, belle (la photo est de Benoît Debie) et riche en métaphores animalières et aquatiques sur l’état d’innocence qui précède l’entrée dans l’adolescence. Une innocence n’excluant pas ni la jalousie ni la violence et conçue avant tout comme ignorance des choses de la chair. La dernière image – une fontaine aux allures de geyser – laisse d’ailleurs peu de place à l’ambiguïté : c’est bien de découverte de la sexualité que Lucile Hadzihalilovic a voulu nous causer. Sans jamais le moindre dérapage scabreux. En dépit d’une parenté évidente et assumée avec le Pic-Nic à Hanging Rock de l’australien Peter Weir, elle nous offre là un premier film inclassable.
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