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À Forrest Gate, dans un quartier chaud de l'est de Londres, les destins croisés d'Aaron, ex-taulard en réinsertion, Kirby, dealer sur le déclin, Ed, la tête brûlée, Chris le solitaire, Michelle, une camée qui se prostitue pour une dose, Jack, le gamin qui veut jouer les durs en rejoignant un gang, et tous les autres, issus de ce melting-pot de paumés qui tentent tant bien que mal de survivre...
Après Eminem (« 8 Miles ») et Fifty Cent (« Réussir ou mourir »), c'est à l'anglais Ben Drew, alias le rappeur Plan B, de faire glisser son « flow » du côté du cinéma. Mais contrairement à ces deux géants du rap U.S., Drew passe derrière la caméra pour dresser le portrait au vitriol d'un East Side londonien en proie au chaos. Dans « Ill Manors », la loi de la rue n'épargne personne, si bien que les personnages sont inexorablement empêtrés dans une spirale de violence et d'autodestruction. Un premier film coup de poing qui ne laisse aucun répit au spectateur.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le film ne manque pas d'authenticité. Comme dans ses chansons, Drew, lui-même originaire de Forrest Gate, parle de la rue, avec son fourmillement de paumés, de junkies, de tapineuses et de souteneurs. Tout ce petit monde se croise, interagit, et forme une véritable faune qui ne semble laisser aucune chance d'exister à l'humain, au sensible. Chacun remplit une fonction dans cette Sin City corrompue où la valeur d'un homme se calcule à la grosseur de son flingue. La violence est partout, se glisse dans les interstices, si bien que toute tentative de fuite semble vaine. La loi du talion s'applique dans toute sa barbarie et vient tôt ou tard rattraper les protagonistes. Marche ou crève, voici le diktat qui régit cet espace désenchanté qui brime le rêve et toute possibilité de création. Dans cette insupportable réalité, lutter devient une question de vie ou de mort : l'homme écrase l'homme pour se faire une place au soleil, et les faibles subissent la loi des plus forts. Un tel marasme social ne permet pas franchement de croire au genre humain.
Et pourtant, avec subtilité, Ben Drew tente de capter des bribes d'humanité, dissimulées ça et là : une entraide, une fugace prise de conscience de l'Autre, un sacrifice qui sonne comme une rédemption... Il réalise un film à thèse, où les images se suffisent à elles-mêmes, sans pour autant se perdre dans le cliché ou la caricature. Rien de moralisateur là-dedans, bien au contraire. Drew embrasse cette micro-société dans son ensemble sous la forme d'une chronique âpre et sans concession, éradiquant tout sentimentalisme. Dans « Ill Manors », il y a quelque chose de la dureté des films de Ken Loach, assortie de la fougue d'une jeunesse enragée.
Le montage nerveux prend le spectateur à la gorge dès les premières images et ne le lâche plus de tout le film. À coup de plans chocs et d'argot londonien, Drew nous prend en otage et nous ne pouvons que contempler le spectacle d'une horreur bien réelle. Pourtant, la violence à l’œuvre n'est jamais gratuite. Le jeune réalisateur ne fait certes pas toujours dans la dentelle en présentant une galerie de personnages réceptacles de toute la misère du monde, mais tombe rarement dans l'excès ou la complaisance. La folie des hommes est ici contagieuse et s'exprime à travers un récit kaléidoscopique plein de maîtrise, où chaque destin individuel a une incidence sur celui des autres. La toile se tisse fil par fil, au rythme du rap de Plan B, et enferme à chaque fois un peu plus les protagonistes dans leur destin tragique. Notons à cet égard l'intelligente intégration de la musique au cœur du film, qui retrace en quelques secondes l'enchaînement cause-conséquence qui a conduit le personnage présenté à sa situation actuelle. L' effet est très efficace et pointe l'incapacité à évoluer dans cet enfer urbain. Concrètement, les enfants reproduisent les schémas parentaux et sont absolument incapables de rompre avec ce cercle.
Drew a donc pétri son film de déterminismes sociaux, un procédé que d'aucun trouveront incroyablement agaçant, voire à certains moments ridicule. Le film aurait peut-être gagné à faire passer son message avec plus de doigté, mais aurait sans doute perdu en intensité. Autre point noir, la fragmentation du récit, bien qu'elle confère au film le poids de plusieurs histoires, ne permet aucune empathie avec les personnages, pour la simple et bonne raison qu'on n'a pas le temps de les connaître. Du coup, on a par moment la désagréable impression d'assister à une simple mise en série d'archétypes.
« Ill Manors » est le cri d'alarme d'une jeunesse sans repères, dont personne ne semble se préoccuper. Drew dénonce en filigrane l'incapacité de l’État à faire bouger les choses, la faillite de l'éducation et des services sociaux, et l'absence de toute autorité structurante dans cette zone devenue irrémédiablement sauvage. Dans ce monde là, où l'égoïsme, le cynisme et l'indifférence forment un bouclier impénétrable, Aaron, le « héros » - qu'on peut considérer comme le double cinématographique du réalisateur- , ayant épuisé les limites de son libre-arbitre, n'a plus qu'une solution : foutre le camp avant qu'il ne soit trop tard. Si Monsieur Cameron, pris à partie par Ben Drew dans le film, envoie finalement ses policiers rétablir l'ordre à Forrest Gate, le problème de la délinquance d'origine sociale en Angleterre, est bien loin d'être résolu.
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