© Pyramide Distribution
Un coin paumé, proche de la Manche. Du vent qui souffle continuellement. Un village isolé. Un type, mi-vagabond, mi-sorcier, qui flingue d’autres types et baise une randonneuse possédée. Un incendie qui ravage la campagne, et qu’une jeune fille éteint en marchant le long d’une ligne étroite au centre d’un étang. Un road-movie sans road ni véhicule. Quelqu’un a compris quelque chose ?
S’il est vrai que la première demi-heure de « Hors Satan », le nouveau film de Bruno Dumont, accumule les échanges stériles entre les deux protagonistes et les scènes de pure contemplation, accusant ainsi quelques longueurs, il déroule par la suite une fascinante histoire. Qui est cet homme silencieux, solitaire et pourtant socialement intégré dans le village qu’il côtoie ? Pourquoi cette jeune fille ni belle ni moche, et que pourtant tous les hommes convoitent, donnerait son corps et son âme pour le seul qui se refuse à elle ? Sait-elle quel étrange démon habite son compagnon d’infortune ? À moins qu’il ne s’agisse d’un ange ? Toutes ces questions demeurent évidemment sans réponse, mais trouvent au fil du métrage un état de vérité. Aussi, quand la jeune fille se trouve contrainte de traverser un plan d’eau sur un muret étroit qui le coupe en deux, pour, selon les dires de l’homme, éteindre le feu qui ravage la campagne derrière elle, on ne se demande plus pourquoi. On assiste simplement à une allégorie d’une beauté foudroyante.
La dimension mystique du film de Dumont est indéniable. Sa beauté formelle aussi. Une fois transcendée l’absurdité de l’action qui s’y déroule, c’est tout un spectacle qui s’offre à nos yeux, avec son lot d’images marquantes : notamment celle de deux êtres qui prient, agenouillés, les paumes des mains tournées vers le ciel, dans les paysages désaffectés, presque asséchés, du Nord-Pas-de-Calais. Les décors revêtent alors une importance capitale, au même titre que la physionomie des protagonistes, qu’on ne lâche pas des yeux. Alternant plans très larges, où les êtres apparaissent minuscules au milieu de la nature, et plans américains en légère contre-plongée où ceux-ci, vus de dos, semblent au contraire dominer leur environnement, Dumont fait de ces deux être à la fois des enfants et des créateurs. Et entre deux allégories mystiques, Dumont balance deux scènes choc : l’exorcisme d’une adolescente, et l’aventure sexuelle avec une randonneuse. Elles peuvent sembler maladroites, mais elles révèlent en quelques secondes toute l’essence du personnage principal, son potentiel à la fois angélique et maléfique. Malgré leur incongruité, ces scènes restent gravées sur nos rétines et dans nos mémoires. Au fond, « Hors Satan » fonctionne comme cela : il ondule devant nous, brouille notre esprit et nous envahit en traître.
CONTRE : Niveau -2 - Vade retro Satanas
Il est évidemment provocateur de réduire le film de Bruno Dumont à ce résumé elliptique et ironique, mais n’est-ce pas la juste réponse à un long-métrage également provocateur et elliptique ? « Hors Satan » possède sans doute une quantité de qualités intrinsèques qu’une grosse partie de la presse spécialisée devrait encenser, toute à sa joie de pouvoir remplir ce film stérile d’un hypothétique contenu latent. Mais l’honnêteté intellectuelle oblige à préciser qu’envoyer un spectateur dans une salle voir « Hors Satan » est ce qui ressemble le plus à un attentat culturel. Sauf à désirer trouver un siège bien chaud pour pouvoir flâner et penser à tout autre chose.
« Hors Satan » est traversé d’événements et de protagonistes insaisissables qui rythment un récit évoluant par métaphores et allégories. Répondant à un espace ouvert qui produit plus de sons que d’images, la fiction est saturée de vides et d’absences : rares personnages, rares dialogues, rares informations transmises au spectateur. Encore un peu plus d’épuration et Dumont rendra prochainement une copie blanche, où il faudra remplir tous les trous. Nous n’y sommes pas encore : « Hors Satan » est criblé de ces trous narratifs et esthétiques, mais on devine néanmoins, derrière la provocation du vide, une tentative de production d’émotion et de logique interne.
Son héros, dénué de nom, erre dans les campagnes en commettant coup sur coup miracles et assassinats de sang froid. La fille qui l’accompagne, non identifiée non plus, le suit après qu’il a tiré à la carabine sur son père, probablement coupable d’obscénités sur sa progéniture. Tout en déambulant derrière le vagabond, la fille exprime son désir de faire l’amour avec lui. Une suite de gros plans cadre leurs visages ingrats et leur mine déconfite. Ils ressemblent à des dépressifs sortis tout juste d’une cure de désintoxication. Fidèle à son crédo, Bruno Dumont a choisi de faire jouer des comédiens non-professionnels et atteints par les ravages de la nature (David Dewaele apparaissait déjà dans son précédent long-métrage, « Hadewijch »). On se prend furtivement à remarquer que s’ils ont pu survivre au tournage de plusieurs semaines, il n’y a pas de raison pour que l’on ne survive pas à une projection de moins de deux heures.
Le style de Dumont, zigzaguant entre Robert Bresson (pour l’absence d’effets et la prise de son directe) et Carl Theodor Dreyer (pour le vertige des plans d’ensemble vides), laisse percer, à de rares moments, une vraie beauté. Lorsque le gars et la fille s’arrêtent soudain, s’agenouillent dans la lande et lancent une silencieuse prière à des dieux inconnus, quelque chose se passe. Mais tout à sa volonté de vouloir produire une œuvre philosophico-mystique hors des « satans » battus, oubliant que la réalisation d’un film a d’abord pour objet de traduire un message et de le traduire dans une langue à peu près accessible, Dumont crée une fiction qui ne regarde jamais vers les autres. Alors, à l’instant où une beauté fragile surgit, nous sommes déjà Hors du Film.
19-10-2011
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