© Pathé Distribution
Quel sujet de recherche nous Ă©clairerait le plus sur lâhumanitĂ© ? Pour Dominic Matei, professeur dâuniversitĂ© et linguiste roumain, il sâagit de comprendre lâĂ©mergence de la conscience par la dĂ©couverte du protolangage. Mais Ă 77 ans, il se dĂ©sole de nâavoir pas achevĂ© lâĆuvre de sa vie, jusquâau jour oĂč, aprĂšs avoir Ă©tĂ© frappĂ© par la foudre, il rajeunit de façon fulgurante. Ce miracle suscite lâintĂ©rĂȘt des nazis, puis des AmĂ©ricains â plongĂ©s en pleine guerre froide â et va contraindre Dominic Ă fuir, Ă se rĂ©fugier derriĂšre des identitĂ©s usurpĂ©es, afin de poursuivre son unique but. Mais le plus formidable est le dĂ©cuplement de ses facultĂ©s intellectuelles. Il va sâappuyer sur le souvenir dâune femme perdue, la complicitĂ© dâune maĂźtresse et le possible sacrifice de celle quâil a retrouvĂ©e pour tenter de rĂ©aliser son rĂȘve : dĂ©crypter les origines du langageâŠ
LâintĂ©rĂȘt de « Lâhomme sans Ăąge » rĂ©side clairement dans la mise en place de diffĂ©rentes atmosphĂšres (de lâangoisse nazie, Ă lâexpĂ©dition scientifique en Inde en passant par le romantisme maltais) qui se succĂšdent dans le tourbillon des rĂ©actions et des lubies de Dominic. Mais tout au long du rĂ©cit, Coppola maintient, et câest lĂ la force de son film, une cohĂ©rence, une unitĂ© impeccable entre les scĂšnes, les ambiances. LâhabiletĂ© de la narration est frappante : la trame se rĂ©vĂšle extraordinairement dense, suivant la vivacitĂ© dâesprit de Dominic, dont les rĂ©flexions oscillent entre sa conscience et ses ambitions de chercheur. LĂ oĂč Coppola imprime Ă son « Youth without Youth » (titre original) une cohĂ©sion si remarquable, câest dans la magnifique unicitĂ© qui joint lâensemble de ses sĂ©quences : un ensemble visuel qui sâinscrit dans une recherche de jeu sur lâimage et une volontĂ© jusquâau-boutiste de retranscrire le fourmillement des pensĂ©es qui submergent le professeur Matei quâune seconde jeunesse ne suffit pas Ă rassasier de connaissances.
La quĂȘte dâun homme acharnĂ© :
La performance, ou plutĂŽt les performances de Tim Roth sont Ă consacrer (nous ne parlons pas dĂ©jĂ dâOscars, mais peut-ĂȘtre serait-il en droit dây penser) tant il Ă©pouse Ă merveille le postulat artistique du film : son jeu est multiple et Ă tout instant changeant, et il parvient Ă nous impressionner (au sens photographique) de cette sensation de voyage dans le temps et dans diverses ambiances. AprĂšs son Ă©lectrocution qui lâa transformĂ©, il lutte contre un double de lui-mĂȘme Ă la logique extrĂ©miste voire destructrice et se nourrit de lâhumanitĂ© de ceux qui vont lâaccompagner dans sa fuite : dâabord son mĂ©decin roumain (le trĂšs sympathique Bruno Ganz), puis la « femme de la chambre 6 » que Coppola rend par sa façon de filmer mystĂ©rieuse et Ă©tonnamment fascinante, et enfin Veronica (la trĂšs belle Alexandra Maria Lara, vue rĂ©cemment dans Control). FrappĂ©e dâun mal inconnu qui lui permet de traverser Ă rebours lâĂ©volution du langage lors de transes incontrĂŽlĂ©es, elle incarne pour Dominic lâaboutissement de ses recherches. Câest lĂ quâintervient son sens Ă©thique : une question primordiale du film est de savoir si la science justifie le sacrifice dâĂąmes humaines⊠Cet homme convaincu va se remettre en cause et la confusion mentale - toujours sensiblement imprimĂ©e sur la pellicule - va sâimmiscer dans le film et prendre la place de la recherche fiĂ©vreuse des dĂ©buts.
La mĂ©taphore filĂ©e des roses (qui ornent dâailleurs lâaffiche du film) mâa semblĂ©e un peu superflue voire pesante, notamment dans la sĂ©quence finale. Mais on pardonnera volontiers ce lĂ©ger Ă©cart pour retenir de « Lâhomme sans Ăąge » un plaisant moment de poĂ©sie. Au delĂ de son travail de rĂ©flexion sur les liens entre amour et savoir, sur lâempire que nous pouvons avoir ou non sur les Ă©vĂšnements, on retiendra du dernier film de Francis Ford Coppola sa beautĂ© onirique, parfois Ă la limite du fantastique. Il ne faut pas craindre dâĂȘtre dĂ©stabilisĂ© par cette Ćuvre dâune originalitĂ© de mise en scĂšne un peu folle et dont le propos, au premier abord trĂšs sĂ©rieux, est parsemĂ© de notes dâun humour que lâon apprĂ©ciera assez vite pour adhĂ©rer totalement Ă lâunivers de Dominic Matei et en arriver Ă sâidentifier dangereusement Ă lui, dans les mĂ©andres de ses hĂ©sitations salvatrices.
Auxence MOULIN
Guillaume BERNARD
Camille ROLLAND
Margot JANIN
Cinémas lyonnais
Cinémas du RhÎne
Festivals lyonnais