© CTV International
Une agence de communication, dirigée par le cynisme sans limites de Thierry Giovanni, s’empare de la campagne d’un modeste élu de province, Pierre Hénaut. Hénaut a beau se promener avec son programme contenant 333 propositions nouvelles, dont une modification radicale de la politique fiscale européenne, il n’a aucune chance de grimper les échelons qui mènent à l’élection présidentielle. Thierry et son équipe font leur possible pour transformer le balourd de la république en bête politique, mais il manque un petit quelque chose, une étincelle qui permettra de mettre enfin le feu à sa campagne…
Si l’on a tendance à reprocher au monde du cinéma français son peu d’audace en matière de politique à l’écran, c’est parce que l’on souhaiterait voir plus souvent dans les salles des expériences comme celles que furent, l’année passée, le « Pater » d’Alain Cavalier et « L’Exercice de l’État » de Pierre Schoeller. Ce vœu pieu, maintes fois répété, a semble-t-il été mal compris par Michel Muller, qui nous livre avec « Hénaut président » un long-métrage tellement sot et mal fagoté qu’on en viendrait presque à regretter qu’il ne se soit pas contenté de livrer une comédie potache avec des Bretons ou des Ch’tis. D’abord sur la forme : au-delà d’une image soignée, le film brille par son absence de travail formel. Zéro découpage, zéro montage, et des plans manifestement tournés sans réflexion préalable. « Hénaut président », par certains égards, ressemble à cette vraie-fausse fiction adaptée de l’affaire Clearstream, « Streamfield » de Jean-Luc Miesch, dont la sortie prévue en 2009 a finalement été annulée – et ce n’est pas un compliment, compte tenu de la laideur excessive de ce dernier. De fait, il y a plus de cinéma dans un seul plan de « L’Exercice de l’État » que dans tout le film de Muller.
Pour la petite histoire, « Hénaut président » est l’adaptation d’une série de films courts diffusée, en 2007, dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle, sur Paris Première. Ce feuilleton voulait être le reflet du spectacle qui se déroulait, en parallèle, sur la scène politique. Michel Muller et ses coauteurs, Antoine Benguigui et David Elkaïm, avaient alors évoqué l’idée de se retrouver en 2012 pour un long-métrage. En attendant, un remake a été produit aux USA par Bryan Cranston sur Comedy Central, sorte de pendant sarcastique au sérieux de « À la Maison Blanche », l’excellente série d’Aaron Sorkin.
Très loin des États-Unis, c’est dans le Limousin que le Pierre Hénaut nouveau s’est installé, au cœur d’un petit village dont Jean-Pierre Pernaut dirait que « le temps s’y est arrêté », Saint-Nicolas de Noblat. Les trois auteurs se sont juchés en plein dans la campagne en cours, faisant d’un personnage rival de Thierry Giovanni le conseiller en communication d’Eva Joly, dont on aperçoit une reproduction des célèbres lunettes dans la vitrine du QG de campagne, embrigadant des journalistes en vue pour faire de fausses interviews d’Hénaut – Ruth Elkrief sur BFM TV, David Pujadas sur France 2, Jean-Jacques Bourdin sur RMC – et accolant au candidat un comité de soutien culturel dominé par Eric Judor, Ramzy Bedia, Thomas Dutronc et Virginie Efira. Ces apparitions transforment de fait « Hénaut président » en jolie carte de visite, sans lui donner un millimètre de plus de profondeur.
Car le film, (dé)réalisé et (dé)joué par Michel Muller, propose un scénario maladroit, bancal et rebattu qui ne fait qu’enfoncer des portes déjà ouvertes, sinon par ses prédécesseurs hexagonaux, du moins par la longue série des films politiques américains. Dans leur volonté de décrypter la réalité spectaculaire du politique avec humour, les trois auteurs copient – volontairement ou non – le cinéma US, espérant peut-être, si conscience de leur part il y a, que les spectateurs ne se rendront pas compte de la répétition. En l’occurrence, « Hénaut président » raconte une histoire vue et revue à la façon de Frank Capra (on pense à « L’Homme de la rue » avec Gary Cooper), dont le modèle quasi exact serait « Les Fous du roi », film de Robert Rossen de 1949 (Oscar du meilleur film en 1950), qui voit un petit maire sans envergure pris en main par des spin doctors devenir une formidable bête politique, dégoulinant alors du cynisme et de la corruption qu’il rejetait avec vigueur lorsqu’il organisait d’humbles tractages au cœur de son village rural. Quant au dénouement et à sa morale, il emprunte sans vergogne au « Primary Colors » de Mike Nichols, en faisant gauchement mine de découvrir que les sommets du politique s’atteignent le plus souvent après avoir écrasé quelques principes vertueux au cours de la montée. Voilà une conclusion qui flattera sans doute les commentateurs politiques, qui souligneront avec emphase la vérité du film et son humour décapant – pourtant à base d’une crasse vulgarité. Mais le cinéphile, lui, n’y trouvera son compte ni dans le fond, ni dans la forme. Et si le film ne reçoit pas une note pire encore, c’est uniquement parce que certains gags amusants ont au moins le mérite de le rendre plus divertissant qu’un débat entre Frédéric Nihous et Hervé Morin.
Au final, le film s’avère avoir aussi peu de relief et autant de fond que la campagne en cours, rendant de facto « Hénaut président » totalement caduc puisqu’en ces temps de campagne présidentielle, les Français n’ont certes pas besoin de voir s’afficher sur leur grand écran les mêmes inepties qu’ils avalent tous les jours sur leur petit. On souhaitera donc au film de Muller un destin analogue à celui d’un Jacques Cheminade : pris par hasard dans la lumière le temps de quelques mimiques, il devrait rapidement retourner à l’oubli dont il avait espéré s’extraire.
LA BANDE ANNONCE
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais