affiche film

© Surreal Distribution

HARRY BROWN


un film de Daniel Barber

avec : Michael Caine, Emily Mortimer, Ben Drew, David Bradley…

Harry Brown, retraité des marines, habite dans un quartier difficile de Londres, entouré jour et nuit de racailles patibulaires qui roulent des mécaniques avec un flegme tout britannique. La politesse voulant que l’on se mêle de ses oignons, il est devenu maître dans l’art de regarder ailleurs lorsque les choses se gâtent, afin de ne pas attirer l’attention sur sa personne. Mais quand son meilleur – et seul – ami est rudement assassiné par les jeunes loubards, Harry ne peut plus s’empêcher de devenir « Dirty », quitte à renier son vœu d’inaction...


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Photo film

La « voix » du milieu

Il faut franchir la première séquence du film – tournée en caméra portée, à la façon de ces vidéos bricolées pour être postées sur Youtube, et montrant, à travers une image laide et sautillante, la réalité crue des quartiers difficiles, avec ici un meurtre gratuit en live – pour s’installer de plain-pied dans cette fiction rude et froide, british jusqu’au bout de ses ciels grisâtres et de ses allées bétonnées. Tout ici, et notamment l’étouffante asphyxie des cadres, fait écho à la sensation de claustration qui se dégage de ces immeubles vétustes, de ces appartements frelatés, de ces espaces ouverts qui n’ont jamais été aussi suffocants. Le quartier où vit Harry Brown est tout entier représenté comme un pénitencier géant, mais au régime inversé, les paisibles habitants étant les détenus continuellement tourmentés par les petits brigands / matons. Même pour se rendre jusqu’à l’hôpital, où sa femme agonise dans un silence prostré, et qui se situe de l’autre côté de la rue, Harry doit opérer un détour, de crainte de devoir traverser le passage souterrain perpétuellement squatté par la racaille.

Régulièrement, des scènes de violence éclatent sous le nez des locataires, qui détournent placidement le regard ; des citoyens battus à mort, des vitres de voitures brisées, de petits feux allumés dans les corridors. Et pas même un politique sérieux pour promettre un coup de Kärcher ! Pendant une partie importante du film, Harry Brown laisse planer le doute sur son statut de potentiel super-héros des temps modernes, de ceux qui se fondent dans la masse pour mieux surgir inopinément et faire la nique à tout ce qui dérange la quiétude du peuple. Le cinéaste déploie un talent certain dans la mise en place de son protagoniste, accentuant à la fois le mystère qui plane autour de sa précédente vie – il se renfrogne lorsque son ami lui demande s’il a déjà tué quelqu’un – et l’empathie que le spectateur peut éprouver à mesure que son univers intime se désagrège autour de lui. Un homme qui perd tous ses repères, en effet, devient comme un animal fou, solitaire, prêt à tout pour réaffirmer sa place au creux d’un environnement violent. En ce sens, le cadre du « vigilante movie » anglo-saxon est parfaitement posé et respecté, jusqu’à ce qu’Harry implose littéralement et retrouve la réflexologie combattive de ses années de marine.

Mais le film ne prend pas tout à fait la direction attendue ; intelligemment, son scénario continue d’orbiter autour de son véritable sujet – la misère sociale, graine de la violence adolescente – tout en confirmant que ce vieux monsieur, du haut de son grand âge, ne peut certes pas se comporter comme le gentil père de famille de « Taken », contre-exemple probant. Harry Brown, de marron, devient rouge de fureur, mais sans se métamorphoser pour autant en Géant Vert. D’ailleurs, l’enquête menée de son côté par l’inspecteur Frampton (excellente Emily Mortimer) prend une place essentielle dans la conduite du récit, refusant à la vengeance personnelle d’Harry le statut d’unique trajectoire narrative.

Ce premier long-métrage sec, qui claque comme son titre, on le doit au Britannique Daniel Barber, formé à la télévision (il a conçu des habillages pour les journaux de la BBC et de TF1) et par le biais de la publicité. Un type qui maîtrise à la fois le langage visuel et les grands sujets de société, qui se sent à l’aise dans le cinéma comme dans l’actualité. « Harry Brown » pourra en effet remémorer au spectateur en même temps les bons vieux « vigilante » américains des années soixante et soixante-dix, les films de « flics contre voyous urbains » type « Assaut sur le central 13 » de John Carpenter, « Police fédérale Los Angeles » de William Friedkin et, bien sûr, « L’Inspecteur Harry » de Don Siegel, ainsi que les images des actualités britanniques montrant de jeunes rebelles nihilistes vandaliser tout ce qu’ils peuvent sur leur passage et les riverains mécontents prendre ensemble la responsabilité de leur répression. Cette volonté de coller à une toile sociale contemporaine est patente dans la séquence d’ouverture, séquence choc donc forcément toc, et surtout se distille dans des éléments de scénario (la déco minimaliste de l’appartement d’Harry, aussi austère que le bonhomme ; l’environnement urbain ; les relations conflictuelles, d’une violence crue, entre jeunes et forces de l’ordre) et dans une dernière partie, moins réussie, sur fond d’émeute urbaine.

Toutefois, la principale réussite du film de Barber se résume à un nom : Michael Caine. Si les plus jeunes des spectateurs seront surpris de constater à quel point le majordome de Bruce Wayne a pris du galon depuis les « Batman » de Christopher Nolan, les autres choisiront plutôt de se reporter au rude Jack Carter de « La Loi du milieu » ou au babillant Milo Tindle du « Limier », avec ce plaisir délicat qu’il y a toujours à retrouver, sur grand écran, ces hommes tout aussi grands qui surent s’imposer par le corps et par la voix. Car Harry Brown n’est pas seulement un homme qui s’effondre ; c’est d’abord, et surtout, une carrure imposante dissimulée sous un long pardessus, un visage alerte comme au premier jour, des yeux qui trahissent une émotion sourde et nostalgique, et une voix, cette voix de stentor, à mi-chemin entre l’extravagant aventurier de « L’Homme qui voulut être roi » de John Huston et le professeur / paternel tout en contenance d’ « Inception », qui le temps d’un instant égaye de sa stable certitude l’environnement en déliquescence de son fils violeur de rêves. C’est bien cela, Michael Caine : une voix enveloppante qui mène et rassure les troupes lorsque le monde semble s’effondrer. Elle résonne encore tout au long de « Harry Brown », en Harry Brown, et au-delà.

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