© ED Distribution
Le couple Christie vit à Wellington Green, en Angleterre, avec leur fils Terry. Le jour où un marin français, Ramon, débarque dans le village, il diffuse une envoûtante mélodie qui fait perdre tous ses moyens à Mme Christie qui cède à ses avances. Honteuse, Mme Christie court se confesser auprès du Père Bunloaf, qui s’avère être amoureux fou de son ouaille…
Si le style volontairement minimaliste et épuré de Phil Mulloy peut surprendre, cela ne l’empêche pas de faire mouche : dans une veine proche de celle de Bill Plympton, autre génie du dessin faussement simpliste également distribué en France par les petits gars de chez ED, les animations du Britannique Mulloy servent de vecteur à une dénonciation féroce de la société de consommation, de la frénésie médiatique et de la bien-pensance hypocrite qui dirige les relations sociales quand, en coulisses, les masques tombent. « Goodbye Mister Christie » fait se succéder des formes semblables à des ombres chinoises portées sur des décors colorés – en fait des fonds d’écran glanés sur Internet et à peine retouchés – qui sont autant de masques vides, invitant le spectateur à y apposer le visage qu’il désire ; le rythme saccadé et répétitif des mouvements, celui de masques qui se scrutent en champ-contrechamp, donne au film une énergie hypnotique difficile à définir, mais qui, à l’instar d’un cyclone, emporte toutes les conventions sur son passage. Pour ceux qui ne se doutent pas même un instant de ce qu’ils vont voir, la bande-annonce, excellemment tournée, en donne un bon aperçu : c’est, ni plus ni moins, du Mulloy tout craché.
Désormais connu pour cette esthétique déroutante et ce style incisif, Phil Mulloy a laissé derrière lui son expérience de cinéaste de prises de vues réelles (après deux longs-métrages à cheval sur les années 70 et 80) pour privilégier la simplicité du trait pictural et le contrôle total de la production, loin des galères éprouvées lorsqu’il devait taper à toutes les portes pour trouver quelques livres sterling. Pour lui qui vient d’une formation artistique, la négation de la lourde technique cinématographique aboutit à une animation positive, brute et directe, aussi minimaliste pour le regard que le propos de fond est vaste pour l’intellect. Le dessin offre à Mulloy ce qu’il ne pouvait pas obtenir ailleurs : une liberté complète dans le tracé, une audace sans limites dans le ton. La critique avait d’ailleurs plébiscité sa trilogie « Intolérance » (2000-2004).
« Goodbye Mister Christie » est une version longue d’une série créée par Mulloy en 2006, « The Christies », dans laquelle il présentait une petite famille de Wellington Green avec ses contradictions et ses tensions. Si l’extension du récit sur une longue durée n’est manifestement pas le fort de Mulloy, c’est la diversité de la cible qui produit l’essentiel du plaisir : improbable marin français prénommé Ramon (y a-t-il un prénom moins français que celui-ci ?) à l’insaisissable accent anglais ; invraisemblable morceau musical qui lui permet, à la façon de l’Ange Terence Stamp dans le « Théorème » de Pasolini, de coucher successivement avec tous les membres de la famille Christie ; imparables Terry, le fiston, et Tracy, son amie, tous deux fans du chanteur rockabilly Garry Challenger (faut-il entendre Liam Gallagher ?), qui insultent copieusement papa Christie lorsqu’il étale sa détestation de l’inaudible star ; insupportable Père Bunloaf, doté d’un énorme pénis de porn-star, uniquement mû par son désir de jouer à l’aller-retour avec la mère Christie… Et, au milieu de ce joyeux désordre moral, un Dieu tour à tour arachnide et insectoïde que M. Christie ne parvient pas à écraser, malgré de vastes efforts ; Hitler croisé au Royaume des Morts, parmi les gens célèbres ; et un Japonais-groupie qui croit savoir que le nom de Christie s’apparente beaucoup à celui du Christ.
Au final, malgré toutes ces qualités, « Goodbye Mister Christie » reste un objet un peu trop minimaliste et un peu trop improbable pour parvenir à convaincre pleinement, surtout lorsque, dans sa seconde partie, le film laisse toute logique de côté au profit d’un récit chaotique et fantaisiste. Mulloy ne réussit pas à débarrasser le spectateur d’une sensation qui ne cesse de grandir au fil du récit : que l’effronterie du réalisateur dissimule une part de fainéantise. Impression à confirmer ou infirmer avec le second volet d’une trilogie, « Dead but Not Buried », déjà tourné, et en attendant le dernier volume.
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