Décalages

Cette histoire de rencontre et d'initiation intrigue dès ses premières secondes, avec cette scène dans un bar, où deux adolescentes hésitent à franchir le pas, face à des adultes bien plus décidés et entreprenants. À vrai dire, on aurait presque aimé que le récit se concentre sur les errances des deux jeunes filles, plutôt que sur l'amourette naissante entre Iris (Lola Créton) et Jean (Stanislas Mehrhar), photographe qui « recherche une certaine forme d'ennui dans des lieux dégradés ». Car c'est bel est bien cet ennui, qui guette rapidement un spectateur aussi peu intéressé par le fond, que déboussolé par la forme.

En effet, si certains acteurs semblent réciter un texte trop écrit, aux consonances volontairement peu naturelles, les répliques, à l'humour pourtant savamment dosé, peuvent faire mouche ou tomber totalement à plat. Ainsi, d'une part la scène, surréaliste de par des dialogues « d'un autre âge » (entendons par là peu adaptés aux ados, même cultivés, qu'on nous donne à voir), sur le choix des livres dans une bibliothèque, développant une théorie du refus de tout classement, et des livres qui « viennent » à soi, fonctionne plutôt bien. D'autre part, des scènes intimes, entre Jean et sa femme, frisent le ridicule, lorsqu'elle lui lance par exemple, alors qu'il tente d’éviter une conversation en se dirigeant vers la salle de bain, un « comme toujours, tu fuis dans l'eau chaude... ». La formule est certes jolie, mais bien peu à propos.

Bref, passer d'un réalisme cru, à une poésie souvent incongrue donne un enchevêtrement de scènes, comme écrites individuellement, qui ont bien du mal à ne pas extraire le spectateur du semblant de récit, et qui ne semblent avoir pour objectif que d’étaler une certaine culture à la française (ou dirait-on à la parisienne), bien peu accessible à la plèbe. Comme si les auteurs s'étaient fait plaisir à eux-mêmes en bourrant le film de références ou de situations cocasses, sans vraiment penser à celui qui subirait l'ensemble. Qu'il s'agisse du moment où un professeur cite Hugo en classe, puis se cite lui-même dans les couloirs, comme si cela allait d'évidence aider ses élèves à avancer, ou de la réplique soudaine de Iris « ça me fait envie, tous ces sandwichs », on se dit qu'il y a dans « En ville » plus d'envie d'un cinéma décalé, que d'un véritable scénario. Dommage.