© Zelig Films Distribution
Argentine, une mère et sa fille vivent à l'écart d'un village. Consciente que sa fille va s'ennuyer, au seuil de l'hiver, la mère l'envoi à l'école, sans véritablement l'inscrire, tout en lui demandant de ne rien dire sur eux, et d'où ils viennent. Rapidement, la fille se fait quelques amies, dont une voisine du même âge...
"El premio" est un film mexicain, dont l'action se situe en Argentine. Une mère vit seule avec sa fille, dans une maison de fortune, au milieu des dunes, à l'écart d'un village. Un secret les rassemble toutes les deux ici, la mère demandant à sa fille d'être prudente et de mentir sur le père, absent, en disant qu'il est vendeur de rideaux. Un premier problème se pose alors pour le spectateur, qui a deviné les tenants et les aboutissants de l'histoire dès les cinq premières minutes, la mère envoyant sa fille à l'école... et le titre du film, en soit, donnant une partie de la solution.
Sans être donc fortement original, "El premio" réussit à traiter de l'intimité de la mère et de la fille, l'une soumise à une peur légitime de ce qui pourrait leur arriver, et forcée de rester chez elle, l'autre, insouciante, désireuse de laisser sortir ce qu'elle a sur le cœur, ne comprenant pas - vu son âge, la gravité de la situation. La réalisatrice, co-scénariste remarquée de "Lake Tahoe", dépeint avec minutie les pulsions protectrices de la mère et sa fatigue grandissante. Elle a également le mérite de nous faire croire d'emblée à la complicité entre les deux petites filles, devenues amies, qui s'amusent et rigolent ensembles ou jouent à se laisser rouler le long des dunes les plus grandes.
Dans "El premio", il existe deux mondes. Celui de l'extérieur, l'école, dangereux, car sous emprise de l'armée y compris dans la vie de tous les jours, l'éducation. Le plan lors duquel la caméra insiste longuement sur les mains des soldats servant le chocolat chaud, constitue une parabole évidente. La fille, désœuvrée, génératrice des bêtises de son âge, ne peut comprendre cela, sentir où se situe le danger. Imprudente, elle se permettra des dessins et écrits sur les soldats, le drapeau et la patrie, qui pourraient bien mettre en danger sa famille. L'inquiétude latente, la menace qui planent sur leurs têtes est ainsi rendue par une musique dissonante, y compris dans les moments les plus contemplatifs ou apparemment innocents. Et la réalisatrice d'abuser de ce principe, comme de la caméra à l'épaule, pour montrer les jeux, la vitalité et l’insouciance des gamines.
L'autre monde, c'est celui de la maison, l'intérieur. Ce décor (récompensé par le prix de la contribution artistique au Festival de Berlin 2011) joue un rôle particulier, représentant ce qu'il reste de la vie de cette famille. La maison tient à peine debout, une fenêtre est cassée, ses volets claquent violemment, la mère pose une toile de plastique pour empêcher le vent d'entrer. Il s'agit autant de se protéger du froid que de se camoufler, se cacher des regards extérieurs. Le choix d'un paysage d'hiver, d'un ciel très bas, aux nuages menaçants n'est pas neutre. Mais s'isoler du monde n'est pas possible très longtemps, et la tempête qui amène une nuit, la mer à rentrer par dessous la porte en est la preuve. Une autre jolie ellipse, où la mère s'évertue à chasser l'eau, qui revient sans cesse... La réalisatrice use ainsi de symboles et d'images plutôt bien choisis. On regrettera juste la facilité de la fin, avec un dernier plan, dont on aurait pu se passer.
2ème avis - Pas vu, pas prix
Le premier plan donne au film une consistance à la fois fascinante et repoussante. Sur fond d’une mer sauvage, sous un temps nuageux, une petite fille peine à faire du roller sur le sable trempé de la plage, mais insiste malgré tout, impulsant à la caméra son mouvement latéral, jusqu’au bout. Une musique atonale, plutôt rebutante, accompagne et accentue cette discorde apparente de la nature. Au plan suivant, la petite fille, que nous entendrons rapidement appeler Cecilia, retrouve la baraque qui sert de refuge à sa mère et elle, décorée de fenêtres brisées, recouvertes de bâches, et d’une porte grinçante en métal rouillé. Sa mère tente vainement de capter une fréquence radio valable. À l’extérieur, le vent souffle assez fort pour emporter la porte, ce qui amuse Cecilia. Pas sa génitrice.
Les deux personnages féminins de « The Prize » (« El premio ») sont en conflit avec leur environnement, métaphorisé à l’extrême par les rudes conditions météo qui dominent au bord de l’océan Atlantique. Mais chacun exprime différemment cette bataille de tous les instants : la fille en affrontant le vent de plein fouet, la mère en se laissant porter par lui, abandonnée de toute force. Cecilia est donc l’élément moteur de cette famille atrophiée, qui a subi l’ablation mystérieuse de son membre paternel (Cecilia doit raconter à ses camarades que son père vend des vêtements à Buenos Aires, sans savoir où il se cache réellement). Autant son corps frêle se démène sous les intempéries, courageux et résilient, autant celui de sa mère se délite comme fleur fanée. Rapidement, la métaphore devient explicite : il faut voir la mer et le sable comme des extensions naturelles de la lourde dictature, qui s’infiltre dans l’intimité des familles à la manière des vagues pénétrant à l’intérieur de la maison de fortune, de bon matin. Cecilia essaie de vivre avec, glissant le long des monticules de sable ou prêtant son visage au vent. Sa mère tente vainement d’aller contre, échouant à résorber l’infiltration de l’eau chez elle.
Derrière ce récit en grande partie autobiographique se dissimule une réflexion subtile sur le positionnement de l’enfance face à l’ambiguïté du monde adulte. La plupart des situations et des lieux sont tirés de la mémoire de Paula Markovitch, née en Argentine durant les années de dictature et exilée avec sa famille au Mexique, devenu son pays d’adoption et producteur de ce premier long-métrage. Cecilia, c’est un peu – c’est beaucoup – elle. « The Prize » n’est pas pour autant un film-souvenir, sorte de carte postale nostalgique d’une époque terrible dont elle se servirait pour nous faire la morale, sur le thème de « vous voyez bien la chance que vous avez d’être nés dans une société meilleure ». Au contraire, « The Prize » reste étonnamment sobre, et son envahissante lenteur, symptôme d’un récit qui se déploie via un certain engourdissement, est une qualité quelque peu pesante sur le long terme.
Le portrait que dresse Markovitch de l’Argentine sous la dictature s’éloigne volontairement de tout manichéisme, d’abord parce qu’il privilégie le point de vue des enfants – notamment Cecilia et sa camarade Silvia – et parce qu’il traduit cette naïveté enfantine par une volonté toute positiviste. En tant que représentants de l’avenir, ils sont évidemment sujets à la corruption morale, et toute la force de caractère de Cecilia réside dans cette distance – pour une adulte, nous aurions parlé de cynisme – qu’elle prend avec les choses et les gens : forcée de raconter des mensonges à ses pairs, elle s’en amuse ; et puisque sa mère lui intime l’ordre de ne jamais parler des exactions de l’armée argentine, la petite va profiter du concours de rédaction non pour le dire, mais pour l’écrire…
En face d’elle se trouve un personnage essentiellement négatif, sa mère, immobile et inexpressive au possible. Et entre les deux surnage l’institutrice, curieuse Rosita qui ne sait sur laquelle des deux chaises, celle de la soumission à la dictature et celle de son rejet, elle doit poser son séant. Efficace pour effacer les imprudences de Cecilia, dont elle admire l’intelligence précoce, elle n’en accueille pas moins avec fierté la promesse d’un prix scolaire remis par les officiers de cette armée qui plombe tant le pays, et qui tente, par le biais de ces ridicules concours, qui consistent à dessiner des drapeaux et exprimer son enthousiasme pour le régime, de laver le cerveau de la jeunesse, à la façon dont les vagues de l’océan effacent les traces laissées sur la grève.
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