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Dave Robicheaux est policier à New Iberia en Louisiane. Une ville à l’activité plutôt incertaine, dans une nature luxuriante au potentiel autant paisible qu’hostile. Lorsque le corps d’une prostituée est retrouvé sans vie, l’enquête commence. A cela s’ajoute un comédien sur un tournage de film qui fait part au policier d’un squelette retrouvé dans les marais. Puis le souvenir d’un meurtre d’un prisonnier noir dont a été témoin Robicheaux dans son enfance revient le hanter. Parviendra-t-il à faire face à tout cela?
Tavernier a toujours admiré le cinéma américain, c’est pourquoi cette adaptation du roman de James Lee Burke lui tenait à cœur. Le tournage a eu lieu en Louisiane, avec un grand respect des ambiances, des codes couleurs et lumières. Il semble que l’investissement sur la musique (toujours primordiale chez Tavernier), les coutumes et l’histoire de cette région ait été lui aussi à la hauteur du projet, le résultat étant saisissant de ressemblance avec la vraie Louisiane, celle que l’on voit rarement au cinéma.
Étonnamment ce film a deux versions, une française et une américaine (qui n’est sortie d’ailleurs qu’en DVD), chacune avec des plans différents. Car le style moins convenu du réalisateur a effrayé les producteurs américains. Pourtant, tout l’enjeu du film était là ! Tavernier ne nous convie pas à la énième enquête policière à grands renforts de bagarres et de gyrophares hurlants, c’est avec mystère et subtilité qu’il réalise un très bon polar. Certes le refus quasi-systématique de l’explication provoque parfois quelques difficultés à saisir l’ensemble des nœuds dramatiques, mais cela se fait au profit d’une atmosphère particulière.
Le bayou est filmé avec lenteur, créant des plans suffisamment précis pour sentir la moiteur et l’étrangeté des lieux. Les marécages sont dépeints comme un personnage en soi, qui engloutissent les souvenirs comme ils les recrachent à bon escient. Le juste dosage entre une intrigue dont le fil se déroule et les incursions fantastiques est appréciable, conférant à cette histoire une dimension morale et réflexive. Ainsi, le passé historique de la Louisiane est très présent, que ce soit à propos de l’esclavagisme ou plus récemment de l’ouragan Katrina qui laisse une population appauvrie et aux prises avec la mafia. C’est d’ailleurs Tavernier qui a tenu à planter l’histoire après le passage de Katrina afin d’ancrer l’intrigue dans une situation économique et politique qu’il dénonce, seule entorse à l’adaptation du livre qui date de 1992.
Le style du réalisateur, on le retrouve également dans une vision teintée d’ironie des studios de cinéma américains, où la réplique «le temps c’est de l’argent» prend tout son sens. On reconnaît également son goût pour les personnages en souffrance, faillibles mais dont la moralité est (presque) irréprochable, le tout saupoudré d’une dose d’humour parfois cynique.
Tommy Lee Jones excelle dans ce rôle de policier en lutte contre les démons qui assaillent sa région, autant que l’alcoolisme qu’il combat. Efficace, ripoux et empreint de tendresse, T.L.Jones pose son regard vengeur et désabusé sur ceux qui l’entourent. Traversé par des courants contraires, il maîtrise parfaitement les nuances de son personnage. «Dans la brume électrique» remplit pleinement son contrat: sortir des sentiers battus de l’enquête policière classique et magnifier à la fois le style d’un écrivain, d’un réalisateur et d’un acteur, tout en rendant hommage à une région à l’histoire et aux coutumes trop méconnues.
2ème avis: Une dimension quasi légendaire
L’icône cinématographique, Bertrand Tavernier, nous fait voyager en Louisiane à travers sa dernière œuvre : « Dans La Brume Electrique », qui retrace l’enquête d’un détective américain, Dave Robicheaux (Tommy Lee Jones). Celui-ci est à la recherche d’un tueur en série s’attaquant aux jeunes filles. Il rencontre une vedette de cinéma, Elrod Sykes (Peter Sarsgaard), qui lui certifie avoir aperçu des ossements humains enchaînés, lors d’un tournage financé par le chef de la mafia, Juluis Balboni (John Goodman). Cette nouvelle fait resurgir en lui des souvenirs enfouis.
Après son dernier succès « Holy Lola », en 2004, Bertrand Tavernier vient d'être récompensé au Festival du film policier de Beaune, à juste titre, pour sa nouvelle réalisation, à la fois sentimentale et criminelle, thème qu’il n’avait jusque là jamais abordé. Un film à l’intrigue policière peu commune et bien moins traditionnelle et ennuyeuse que les thrillers les plus modernes.
En effet, le scénario est travaillé à la lettre par le romancier lui-même : James Lee Burke. On retrouve un certain côté Lynchien à mélanger le rêve de la réalité, tout en restant dans la même subjectivité afin de faire un fin plus lyrique qu’explicatif ; bref une incompréhension bien intégrée, qui donne une part de mystère supplémentaire tant à l’histoire qu’aux personnages remarquables.
Tavernier a tout de même réussi à intégrer son esprit critique fulgurant présent dans ses anciennes productions (thèmes du racisme….). Chaque personnage incarne à merveille un trait de bravoure ou de fuite à travers le caractère américain ayant subi Katarina : certains notamment, s’enrichissent à leur guise. L’association franco-américaine a été accueillie plus ouvertement par le cinéaste lui-même que par ses hôtes, ces derniers ayant des penchants très protecteurs en paradoxe à leurs coutumes habituelles quelque peu dévastatrices.
Des plans fluides donnent un mouvement au film, ainsi qu’un certain rythme qui tient de la mélodie (la country sert de fond musical majoritaire au film). Une inspiration communautaire à tout points, un attachement à la région, une adaptation exquise et des acteurs dans la fleur de l’âge mais qui ont conservé leur aura, donnent à ce chef-d’œuvre une dimension quasi légendaire.
Romane Kugel
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