© Universal Pictures International
Edith, une jeune romancière, est assaillie la nuit par le fantôme de sa mère, décédée alors qu’elle n’était qu’une enfant. Ce fantôme lui répète souvent le même message : « Prends garde à Crimson Peak ». L’imagination de cette jeune femme lui vaut d’être plus ou moins exclue des cercles de la haute société, jusqu’au jour où elle rencontre Thomas Sharpe et sa soeur Lucille. Le coup de foudre entre Edith et Thomas est immédiat, et ce dernier décide de l’épouser et de l’emmener avec lui dans son manoir. Le nom de ce manoir : Crimson Peak…
Le simple fait d’entendre Guillermo Del Toro parler de "Crimson Peak" comme étant sa meilleure œuvre a de quoi provoquer une vraie stupéfaction. Rarement avait-on entendu pareil contresens dans la bouche d’un cinéaste aussi précieux qu’essentiel, sans doute l’un des rares dignes représentants de la culture geek à avoir su en synthétiser toute la richesse au travers du médium cinématographique. Non pas que ce nouveau film soit un désastre – loin de là – ou soit la preuve éventuelle d’une baisse de régime significative, mais ce qu’il propose dans son contenu n’est jamais à la hauteur des espérances que l’on plaçait en lui.
Sous couvert d’un canevas de film d’horreur classique comme l’ont défini Jack Clayton avec "Les Innocents" et Robert Wise avec "La Maison du diable", on pouvait d’abord craindre une énième intrigue de fantômes hantant les couloirs d’un manoir qui renferme un lourd secret. Et dans ce genre-là, on pourrait dérouler une liste encyclopédique, avec en tête deux films de Jaume Balaguero ("Fragile", "Darkness") et le célébré "L’Orphelinat" de Juan Antonio Bayona en fin de liste. Il y a effectivement de ça dans le parcours mouvementé de cette jeune femme, devenue l’épouse d’un bel ingénieur ténébreux et vivant dans un manoir bâti au-dessus d’un vaste gisement d’argile. Une argile couleur rouge, qui laisse d’entrée planer un soupçon de malédiction sur ce lieu. On ne mettra pas bien longtemps à deviner qu’un crime a eu lieu ici, que la sœur du nouveau mari se comporte de façon bien louche, que cette fratrie mijote quelque chose de pas très clair, et qu’un autre prétendant de la jeune héroïne va tout faire pour la sauver – une sous-intrigue déroulée en montage alterné.
Voici bien le principal souci de "Crimson Peak" : son scénario. Del Toro fait l’impossible pour le rendre mystérieux et inquiétant là où il n’est que prévisible et convenu. Même son sens virtuose de la mise en scène, toujours traduit par un déchaînement de fulgurances esthétiques et poétiques, ne fait ici que griller la plupart des surprises avec la finesse d’un hippopotame. Dès la première apparition de Jessica Chastain en pianiste habillée en robe rouge sang qui ne sourit jamais, on a tout de suite compris que cette sous-Cruella sera la « vilaine » (surtout qu’en face de cette brune, il y a une blonde : un classique…). Dès ce plan grossier où le frère et la sœur parlent d’un plan qu’ils ont ourdi ensemble alors que la caméra en fait des silhouettes tapies dans l’ombre, on a tout de suite compris qu’il y a anguille sous roche. Et quand Del Toro use de la couleur pour asseoir la fonction et l’état d’esprit de ses personnages (un exercice qu’il maîtrise en général comme un maître), cela ne sert qu’à appuyer le manichéisme outré de personnages bien plus stéréotypés et bien moins étoffés qu’ils n’en ont l’air. Jusqu’à une révélation finale tout ce qu’il y a de plus prévisible en plus d’être terriblement banale et simpliste.
De bout en bout, "Crimson Peak" sonne comme un film compressé, trop rapide, sans intensité ni mystère, grillant toutes ses cartouches dans une première demi-heure illustrative en diable. Ce qui lui évite de sonner creux reste une réalisation des plus envoûtantes, usant à plein régime d’une production design éblouissante à tous les niveaux, à travers laquelle Del Toro continue de tracer sa voix d’artiste plasticien, adepte du symbole le plus pur. Les visions magiques ne manquent pas ici : on y voit un vent qui traverse les couloirs d’un manoir jusqu’à créer un bruit sourd de respiration, des fantômes qui se laissent caresser la joue par des vivants, des papillons agités qui se mêlent aux toiles peintes sur les murs, des feuilles mortes qui tombent du toit ouvert d'un vaste manoir, un squelette spectral rouge vif qui s’allonge dans une baignoire, une neige qui recouvre des terres d’argile à perte de vue, etc. C’est beau, c’est même parfois magique, mais de la part d’un génie comme Del Toro, on espérait tellement plus…
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