© Shellac Distribution
Le réalisateur Michel Gondry entame une série de conversations avec le linguiste et philosophe américain Noam Chomsky, autour de sa vision du monde, de l’être humain et de tout ce qui nous entoure, sous la forme d’une juxtaposition d’animations à la main…
La rencontre avait de quoi promettre des étincelles : une discussion autour d’une table entre le linguiste le plus célèbre de notre temps (Noam Chomsky) et l’un des artistes les plus inventifs des dernières années (Michel Gondry). À l’arrivée, le résultat se révèle aussi difficile à appréhender que le flux de théories complexes abordées par Chomsky durant près de 80 minutes. Certes, quiconque a eu l’occasion de suivre l’évolution assez spéciale de la filmographie de Gondry n’aura aucune difficulté à se sentir en terrain connu : on retrouve dans ce petit projet la persistance du cinéaste à s’aventurer vers des terrains plus intimes et inattendus entre deux gros projets (en l’occurrence, entre le ratage XXL de "L’Écume des jours" et son éventuelle adaptation d’Ubik de Philip K. Dick), sans pour autant dévier d’une ambition toujours aussi active. Pour le coup, il n’est clairement pas question pour lui de se livrer à un éloge de Noam Chomsky ou de se limiter à la simple captation d’un entretien filmé. La verve créatrice de Gondry sera là encore mise à contribution. Mais qu’en est-il exactement ?
Au risque de sembler trop théorique, on tentera ici une approche en lien avec le travail de réflexion de Noam Chomsky. À partir des années 50, ce dernier fonda le concept de « linguistique générative », défini pour établir une distinction entre « compétence » (permettant aux locuteurs d’une même langue de construire des phrases grammaticalement sensées) et « performance » (selon laquelle l’acte de parole découle des limites mémorielles du locuteur). Cette opposition s’installe déjà en tant que telle au sein même du projet cinématographique de Michel Gondry, visant à illustrer ses longues séances de discussion avec Chomsky par une juxtaposition de petites animations, dessinées feuille par feuille dans son atelier parisien.
L’idée séduit d’emblée par son intérêt plastique, donnant à refléter de manière à la fois artisanale (tout est fait à la main) et conceptuelle (on a l’impression de pénétrer le cerveau du cinéaste !) la façon dont Gondry tente d’interpréter les théories chomskiennes au fil des questions posées. C’est donc une force en soi, ne serait-ce que pour cette faculté à épouser visuellement la complexité du discours de Noam Chomsky (ce qui fait preuve d’une « compétence » sur l’approche du langage cinématographique), mais c’est aussi une faiblesse, ou plutôt dirons-nous un excès de zèle, tant le processus reste limité à son propre étirement sur la durée (l’ennui s’installe très vite), tant la voix monocorde de Chomsky n’aide pas sur la longueur à nous impliquer de bout en bout dans le partage réciproque de sa pensée (celle-ci se voit même phagocytée par le dispositif visuel), Gondry invitant parfois le spectre gênant de la paraphrase en alourdissant sa voix off d’un texte écrit en temps réel sur l’écran.
En cela, le film reste plus proche d’une « performance », dont le systématisme du dispositif et le simple décalage créé par l’animation semblent se suffire à eux-mêmes, au point d’éjecter toute implication émotionnelle du spectateur. D’un autre côté, cela pourrait presque suffire à justifier la présence d’un tel film au sein d’une installation d’art moderne, si possible sous la forme de petites pastilles d’une dizaine de minutes chacune (une durée de long-métrage étant au final trop inappropriée). Une fois de plus, Gondry a tenté un pari audacieux, mais comme tout film-concept digne de ce nom, le risque de voir sa création lui échapper ne peut jamais s’effacer d’un coup de gomme.
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