affiche film

© Diaphana Distribution

CHATROOM


un film de Hideo Nakata

avec : Aaron Johnson, Imogen Potts, Matthew Beard, Hannah Murray, Daniel Kaluuya…

William est un adolescent de 17 ans, plutôt perturbé. Il passe son temps sur le net, où il se nourrit de conversations et amitiés virtuelles. Il va créer son forum de discution, "Chelsea teens", où il sera rejoint par 4 autres adolescents, et sur lequel il va les encourager à se livrer et à faire part de leurs sentiments les plus négatifs, dans le but de les aider à trouver un remède à leurs maux… Il les poussera ainsi à prendre des mesures radicales, contre leurs parents, amis, et parfois eux-mêmes...


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Photo film

POUR: Niveau +4 - Manipulation adolescente sur toile de web

Hideo Nakata a complètement su capter l’univers adolescent ainsi que celui du web, pour nous livrer un magnifique testament contemporain d’une génération désenchantée d'ados hypnotisés par leurs écrans. Plutôt mals dans leur peau, recroquevillés sur eux-mêmes, chacun de ses protagonistes trouve une échappatoire grâce à ce monde parallèle où ils sont les seuls acteurs de leurs destins (sans aucune autorité, parentale, scolaire, sociale…). Recherche d’amis, de confidents, d’encouragements… ils ont tous quelque chose à partager, et s’ils n’en ont pas, le puppet master, incarné par Aaron Johnson, leur fera ressortir des sentiments sombres et destructeurs.

Ici, les ados discutent dans une grande pièce qu’ils se sont appropriée et ont customisée, et la toile est personnifiée par un couloir d’hôtel sans fin, desservant de nombreuses pièces (des chatrooms) dont le nom est taggé sur la porte. Chaque chatroom a son univers : girly pour parler mode, sexy pour les rencontres coquines, défouloir pouvant mener à bout certains participants, suicidaire pour mettre en lumière son dernier souffle… Un soin particulier a été apporté à la photo, afin de marquer les passages du virtuel au réel, passant d’une ambiance acidulée à un univers où les coloris sont ternis et sans saveur, à l'image du quotidien des ados.

Cette transposition de la notion de relation virtuelle de manière réelle (rencontres physiques) rend bien compte de ce que peut ressentir un chatter, après quelques jours de discution : un sentiment de connaître sur le bout des doigts son interlocuteur. La notion de dépendance qu’engendre Internet chez les jeunes générations est aussi un thème central du film, où la communication entre enfants et adultes semblent rompue, que ce soit par le manque de repères, le manque de confiance en soi, la recherche de modèles… facilitant ainsi la confiance qu’ils donnent à un inconnu qui balance des banalités dans lesquelles chacun peut se reconnaître.

Pour ce thriller, le réalisateur de "Ring" (version originale) et "Dark Water" (version originale aussi) a confié à Aaron Johnson, précédemment découvert dans "Kick-ass", le rôle inquiétant (et fascinant) de puppet master machiavélique. Il entraîne dans un trip suicidaire ses « amis » virtuels, dans le seul but d’assouvir son désir de contrôle des autres, exerçant une emprise qu’il n’a pas sur sa famille et son quotidien, poussant les limites du sadisme à leur paroxysme. Un rôle aussi dense, du haut de ses 19 ans… on ne peut qu’applaudir la performance d’acteur !

En quelques mots, non seulement le thème qu’aborde "Chatroom" a le mérite d’être terriblement d’actualité, en mettant en scène les dangers et la dépendance au web, ainsi que l’influence que les adolescents peuvent avoir les uns sur les autres à un moment de leur vie où ils sont les plus vulnérables, mais il permet au scénario de générer une tension et une anxiété face à l’issue finale de ces relation à la vie, à la mort.

De plus, "Chatroom" pourrait presque être un film éducatif pour des parents qui ne comprennent pas la fascination de leurs enfants pour ce mode de communication qu'est le chat, et n’en comprennent pas forcément les potentiels dangers, qui ne proviennent pas que de vieux pervers qui se font passer pour des fillettes… ! Finalement, il ne fait pas bon être parent dans l’univers de Nakata !


CONTRE: Niveau – 2 - Quand le « chat » n’est pas là, les souris dansent


Si « Chatroom » traite du problème du suicide et de sa diffusion sur Internet, via la mise en ligne d’ « auto-snuff-movies » et de renseignements pratiques à usage des futurs candidats, le film est surtout le manifeste d’un suicide artistique pour Hideo Nakata. Prophète en son pays et bien au-delà, le Japonais avait largement convaincu de son savoir-faire formel en relançant la mode du « film de fantômes » façon asiatique, en faisant du premier « Ring » un véritable pavé dans la mare du genre, initiant la vague des spectres féminins aux longs cheveux sombres et aux membres désarticulés. « Dark Water » avait confirmé son grand talent pour produire une peur viscérale, authentique, très loin des effets sonores aliénants qui font le succès des films d’épouvante pour adolescents.

Il est donc curieux que ce même Nakata réalise, avec « Chatroom », un succédané de ces productions pour ados décérébrés qui n’étaient que des avatars mal fichus de ses propres visions réussies. Certes, vous me direz que le bonhomme est aussi parti aux USA en 2004 pour tourner « The Ring 2 », la suite du déjà peu flatteur « The Ring », remake gentiment idiot de son propre film, et qu’il avait pour l’occasion remisé son ambition artistique au plus profond du puits en pierre qui a tant d’importance dans l’histoire de la cassette vidéo maudite. Son portefeuille s’en était gonflé d’autant, mais son CV devait en souffrir. Si l’on suit cette progression, il était peut-être logique qu’il fît de « Chatroom » le témoignage de sa mise à mort cinématographique.

Le film est-il à ce point raté pour que l’on puisse ainsi se permettre de monter sur les grands chevaux de la critique ? Oui, oui, et oui. Du début à la fin, « Chatroom » provoque chez l’amateur de cinéma, chez l’aficionado du film de genre, chez le fan de Nakata, et chez l’idolâtre d’Imogen Poots (que je suis) une tristesse qui progressivement se mue en mépris, puis en colère, enfin en deuil. Effectivement, si l’on met de côté le déroulement d’une intrigue tortueuse, tout indique que le cinéaste perd le contrôle de son univers dès les premiers instants. Le parti pris n’est pas inintéressant : le monde virtuel des discussions en ligne est illustré par une série de couloirs d’hôtel – tous plus glauques et malsains les uns que les autres – dont les portes mènent à des chatrooms, ces espaces de dialogue dédiés à des sujets divers et variés. Ces espaces sont créés par des modérateurs qui leur donnent un objet et une esthétique particuliers, selon les goûts et les désirs : la chatroom d’Eva, par exemple, ressemble à un temple voué à sa propre gloire, décoré de ses portraits, un lieu qui lui permet de développer ses contacts dans le monde très fermé de la mode. Celle qu’ouvre William dans les premières secondes brille par son austérité : quelques chaises au milieu de murs nus. Chacun des adolescents qui s’y rend commence à apprécier la compagnie des autres et à partager ses sentiments sur des questions personnelles – mais tout cela reste un jeu puisque virtuel, simulé, projeté loin de la réalité. Ce qui se passe sur le web reste sur le web.

La réalité sociale sait se jouer des contraintes de la virtualité et finit par déborder largement du cadre strict d’Internet. La réalité, c’est que la violence, la pédopornographie, le terrorisme et bien sûr le suicide assisté par ordinateur ont métamorphosé le world wide web en un jeu potentiellement macabre. Nakata invente les vidéos de suicide observées par ses protagonistes mais pas leur existence : de jeunes hommes et de jeunes femmes se jettent dans le vide la webcam branchée, ou glosent longuement des meilleures techniques en vue d’une mort rapide et indolore. D’autres n’hésitent plus à signaler leur mal être sur des forums, espérant peut-être que les utilisateurs viendront à leur secours par quelques phrases, quelque soutien moral. A partir de cette constatation déprimante, la pièce de théâtre d’Enda Walsh, qui a lui-même écrit le scénario destiné au cinéma, imagine un adolescent en pleine crise parentale qui écoute les petits soucis de ses camarades sur son chatroom pour mieux les pousser à commettre le geste fatal, nourrissant son énergie de la disparition de son prochain.

Ce sujet grave et sérieux eut mérité un traitement moins caricatural. Les adolescents imaginés par Walsh et filmés par Nakata – je n’ai pas eu l’occasion de voir de quoi a l’air la pièce originelle – ressemblent à ces archétypes utilisés de façon ironique dans les publicités pour Biactol ou pour les crédits bancaires. Or, s’ils sont destinés à faire rire sur petit écran, ce n’est pas le cas ici. Chaque regard, chaque geste de William, d’Eva, d’Emily ou de Mo donne férocement envie d’éclater de rire ; les situations ridicules dans lesquelles ils sont embarqués interrogent sur la lucidité du scénariste et son aptitude à comprendre la psyché post-pubère. Difficile, en conséquence, de croire en eux.

Plus grave : si le sujet reste d’actualité, la représentation de l’univers d’Internet accuse un tel retard que le spectateur a la désagréable sensation que « Chatroom » aurait eu plus d’impact s’il était sorti à l’époque du Minitel. Cela tend à laisser penser que ni Nakata, ni Walsh, ni même les producteurs, qui valident in fine les pages qu’ils ont entre les mains, n’ont la moindre idée de ce dont ils parlent ou essaient de parler : les jeunes n’en sont plus à se demander encore ce qui, sur Internet, relève de la réalité et du virtuel. Et quelques rares cas isolés dans le monde ne valident pas les thèses obsolètes de ce long-métrage dans lequel les personnages donnent tous l’impression d’être trop stupides pour distinguer le réel du simulé, l’amitié palpable du dialogue virtuel. Si nous avons affaire à une bande d’autistes de la réalité, d’accord, mais dans ce cas l’identification est limitée et l’impact sur le réel en est d’autant réduit.

Émotionnellement, le personnage qui apporte le plus à « Chatroom » reste le jeune Jim (Matthew Beard), particulièrement touchant de par son traumatisme enfantin. L’absence de son père, parti lorsqu’il était enfant, se répercute sur son inconscient actuel en le convaincant de sa culpabilité – ce qui fait de lui une cible idéale pour le cruel William. Son environnement familial plein de vacuité fait écho aux couloirs malsains de l’Internet imaginé par Nakata, vides de sens et de corps ; sa plongée dans le « chat » s’explique par une forme d’autisme social qui le rend vulnérable, à travers une interprétation qui le rend authentique. A côté de lui, les autres personnages ressemblent à des sales mômes dans une cour de récréation, aussi superficiels que l’esthétique du film semble laide.

Eric Nuevo

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