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Plusieurs personnes qui ne se connaissent pas se retrouvent jurés lors d’un procès. Ils vont devoir décider du sort d’un de leurs semblables, mais que sont-ils, eux, de leur côté, sinon des hommes et des femmes avec leurs rêves et leurs secrets, leurs espoirs et leurs limites, leurs joies et leur part d’ombre ?...
Aller voir un nouveau film de Claude Lelouch, c’est décidément comme ouvrir une pochette surprise dont on pense connaître le contenu à l’avance et dont on sort relativement surpris, que ce soit en bien ou en (très) mal. Et cette année, l’heure est à la fête. À peine deux ans après s’être farci le pseudo-spirituel "Un + Une", le Michel Drucker du cinéma français revient en force avec assez de quoi remplir une trentaine de numéros de Vivement dimanche prochain. Soit un casting Maxi Best Of pour un énième film choral avec tout ce qu’on redoute de Lelouch, à savoir un scénario éparpillé façon puzzle, des acteurs piochés au hasard qui se plient à son incommensurable désir de toucher le public à tout prix, de l’overdose de musique populaire qui confond le cinéma avec la radio, et surtout, son traditionnel prêchi-prêcha grotesque sur la vie, l’amour, le destin, la maladie, le couple, la musique, la justice, les trucs, les machins, les bidules, et je ne sais quoi d’autres… Sans oublier le must : un art consommé du dialogue méli-mélo dépressurisé sous l’effet du premier degré, du genre qui fait davantage mouche sur nos zygomatiques que sur notre corde sensible.
En moins de dix minutes, on sait tout de suite que Lelouch va frapper très fort. D’entrée, Eric Dupond-Moretti (alias le célèbre « Acquittator », ici dans la peau d’un juge d’instruction) tente d’apaiser les jurés d’un procès en leur balançant une théorie d’Einstein (« Le hasard est le costume que Dieu a enfilé pour circuler incognito parmi les hommes ! »). Deux minutes plus tard, le générique défile pendant un concert de Johnny Hallyday (qui joue à la fois le vrai Johnny et son sosie un peu timbré). Dans la scène d’après, tout le casting défile à l’écran en mode "Amélie Poulain" (chacun récite « Mon intime conviction, c’est que… » : ça ne sert à rien, mais ça aide à remplir cinq minutes de métrage) tandis que l’infirmier Jean-Marie Bigard circule en hoverboard dans un hôpital pour distribuer des blagues aux patients qui n’ont pas le moral (?!?). Et tout de suite après le full frontal le plus gênant de l’histoire du cinéma (pauvre Gérard Darmon…), on a droit à plein de personnages qui s’évanouissent ou subissent des malaises au même moment sans qu’on comprenne pourquoi… Ce n’est que le début du film, et on est déjà morts de rire. La suite est encore mieux…
On vous passe vite fait les autres trucs énormes à picorer dans ce fourre-tout choral, entre un Christophe Lambert pochtron qui pleurniche, une Julie Ferrier qui joue des jumelles (dont une actrice cagole avec un accent à défriser Mado la Niçoise !), le couple Lellouche/Demouy qui nous renvoie à la grande époque de Max Pécas, un best-of RMC-Nostalgie en guise de discours philosophique (avec une Liane Foly gay-jazzy et Kendji Girac qui chante des onomatopées), et une Elsa Zylberstein qui surjoue l’hystérie comme pour réclamer un abonnement à vie pour les Gérards. On passera aussi sur le fou rire nerveux naissant de moments supposément dramatiques (qu’il s’agisse d’un double meurtre ou d’un divorce en mode "La La Land"), sur cette overdose de considérations horoscopiques (ainsi donc, les Poissons sont patients et les Sagittaires sont impatients... ok merci) et sur ces dialogues fabuleusement lelouchiens qu’on s’empressera de tester sur son conjoint en cas de lassitude (on hésite entre « On est devenus comme ces chansons qu’on adorait et qu’on ne supporte plus » et « L’amour, c’est quand la question du bon coup ne se pose plus »). On oublie vite tout ça, parce qu’au milieu de tout ce bordel, on en vient sérieusement à s’interroger : d’où vient cette euphorie que l’on ressent sans cesse, et comment se fait-il que nos fous rires nerveux n’en soient pas la seule et unique origine ?
Sans doute parce que, mine de rien, Lelouch revient ici à ce qu’il avait tenté – à bien plus grande échelle – avec "Les uns et les autres" : une grande valse de destins qui, circonscrits dans une narration qui les isole autant qu’elle les fait bouillir, en viennent à incarner un vrai puzzle de vie(s), improbable et familier, foutraque et cohérent, délirant et tragique, à l’image d’une existence qu’il décrypte comme un curieux Rubik’s Cube. Sans doute aussi parce que le délicieux cadre ensoleillé de la ville de Beaune (où se déroule ici un festival de jazz couvert par Nadia Farès en animatrice radio) participe au charme de ce manège un peu zinzin. Sans doute, enfin, parce qu’on n’avait pas senti le cinéaste s’amuser autant depuis son brillant "Roman de gare" en 2007 : Lelouch fait ici joujou avec ses plans-séquences et ses numéros d’acteurs, et cette gourmandise de jeune premier s’avère communicative. Léger comme un bon vin de Bourgogne, "Chacun sa vie" prouve que le charme peut opérer lorsque son cinéma assume ses indécrottables lourdeurs en les plaçant dans une vraie imprévisibilité de récit. De ce fait, le manège tourne à plein régime, et on en sort avec une vraie joie de vivre. C’est bien un signe…
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