affiche film

© Kanibal Film Distribution

CECI N’EST PAS UN FILM

(In Film Nist)


un film de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb

avec : Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb

AssignĂ© Ă  rĂ©sidence dans son appartement de TĂ©hĂ©ran, le rĂ©alisateur iranien Jafar Panahi tourne en rond en attendant le verdict d’une justice kafkaĂŻenne. AidĂ© de son compatriote documentariste Mojtaba Mirtahmasb, ils mettent en scĂšne un non-film coincĂ© entre quatre murs, glosant sur l’épĂ©e de DamoclĂšs suspendue au-dessus des artistes iraniens contemporains, constamment surveillĂ©s par un pouvoir orwellien



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Photo film

Une journĂ©e dans la vie d’un cinĂ©aste iranien

« Ceci n’est pas un film » est la rĂ©ponse de Jafar Panahi au siĂšge vide de jurĂ© qui symbolisa, en creux, son absence lors du festival de Cannes 2010. Pour exorciser le vide corporel signalĂ© par ce fauteuil dĂ©nuĂ© d’occupant, Panahi nous donne Ă  voir, pendant 1h15 de projection, du Panahi Ă  profusion, chez lui, dans son logement de TĂ©hĂ©ran. Panahi au petit-dĂ©jeuner, Panahi devant sa tĂ©lĂ©vision ou son Mac portable, Panahi parlant au tĂ©lĂ©phone Ă  son avocate. En se filmant de cette maniĂšre, aidĂ© de son ami et documentariste Mirtahmasb, Panahi s’octroie un corps et une substance, condition sine qua non pour que le public, dans son ensemble, puisse comprendre les tenants et aboutissants de sa condition de cinĂ©aste inhibĂ©. On s’exprime mieux quand on se rend visible. Cette journĂ©e dans la vie d’un rĂ©alisateur iranien opprimĂ© s’apparente de prĂšs au « voyage avec la puanteur » qu’il effectue, en fin de film, en accompagnant la trajectoire des poubelles dans l’ascenseur : elle nous donne Ă  voir les dĂ©chets idĂ©ologiques d’un rĂ©gime en bout de course, nĂ©cessairement condamnĂ© par sa propre absurditĂ©.

L’illogisme et la contrainte de sa situation transparaissent lors d’un plan qui est, au choix, hasardeux ou minutieusement organisĂ© : prĂ©sentant une scĂšne d’un de ses prĂ©cĂ©dents films, Panahi parle devant une Ă©tagĂšre de DVD dont le plus visible est celui de « Buried » de Rodrigo CortĂ©s. Faut-il y voir une analogie entre le personnage enfermĂ©, quatre-vingt-dix minutes durant, dans un cercueil enterrĂ©, et le cinĂ©aste faussement libre de ses mouvements, auquel on interdit de quitter son propre appartement et de sortir Ă  l’air libre ? La rĂ©ponse se trouve peut-ĂȘtre dans le film de son compatriote Mohammad Rasoulof, « Au revoir », actuellement en salles, dans lequel l’hĂ©roĂŻne cherche Ă  tout prix Ă  quitter un Iran devenu irrespirable, Ă  l’instar du cercueil de bois de Ryan Reynolds. Ironie du sort, Rasoulof, aprĂšs avoir passĂ© plusieurs jours Ă  Paris pour parler de son film, devrait rentrer incessamment dans son pays, alors qu’il risque l’arrestation immĂ©diate Ă  l’aĂ©roport de TĂ©hĂ©ran. Le cercueil est certes oppressant, mais il vaut mieux vivre difficilement au-dedans que mourir Ă  petit feu au dehors.

C’est justement pour ne pas mourir – symboliquement – que Panahi a tenu Ă  faire ce film, qui n’en est pas vraiment un. Pour s’interroger d’abord sur ce que peut faire un rĂ©alisateur sous le coup d’une interdiction d’exercer son mĂ©tier, et pour prouver, ensuite, que le plus important, c’est de faire en sorte que l’image existe. Mirtahmasb rĂ©sume ces enjeux avec le talent de concision d’un homme que l’on entend peu s’exprimer : il cite d’abord un proverbe iranien qui dit, en substance, que les coiffeurs sans boulot finissent par se couper les cheveux les uns les autres ; puis, demandant Ă  Panahi de le filmer Ă  son tour Ă  l’aide de son tĂ©lĂ©phone portable, il remarque que « les images restent » toujours. Mirtahmasb se rĂ©vĂšle comme Ă©tant le plus philosophe des deux, celui qui encourage son ami Ă  tourner malgrĂ© tout ; et qui glisse subrepticement l’idĂ©e, pourquoi pas, de « faire un film avec tous les non-films des cinĂ©astes iraniens », tant sont nombreux les projets qui finissent par ĂȘtre rejetĂ©s par les autoritĂ©s incompĂ©tentes, dĂšs lors qu’ils sortent de la trĂšs Ă©troite ligne dĂ©crĂ©tĂ©e par le pouvoir.

C’est d’ailleurs cette triste rĂ©alitĂ© qui rythme « Ceci n’est pas un film ». Panahi est assignĂ© Ă  rĂ©sidence dans l’attente du verdict de son procĂšs – il risque six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tourner, un jugement digne du ProcĂšs de Kafka – parce qu’il prĂ©parait un long-mĂ©trage sur les manifestations qui embrasĂšrent TĂ©hĂ©ran aprĂšs la rĂ©Ă©lection douteuse du prĂ©sident Ahmadinejad, en juin 2009. BloquĂ© chez lui, il se propose donc de faire une lecture de son dernier scĂ©nario, refusĂ© : le rĂ©cit d’une jeune femme que ses parents enferment Ă  domicile pour ne pas qu’elle puisse s’inscrire Ă  la facultĂ©. Comment travailler quand on est cinĂ©aste et qu’on ne peut pas tourner ? Panahi dĂ©limite une piĂšce illusoire sur son tapis et incarne tous les rĂŽles : placement de la camĂ©ra, description des plans, dialogues. GĂȘnĂ© un instant par l’absurditĂ© de la tĂąche – « Si on peut raconter un film, Ă  quoi bon le rĂ©aliser ? » – il lui suffit de revoir de brĂšves sĂ©quences de ses films pour ĂȘtre convaincu de l’importance d’une vraie libertĂ© de mouvement, car rien ne remplace la fraĂźcheur d’une interprĂ©tation (extrait de « Sang et or ») ni la soudaine Ă©motion d’un dĂ©cor (extrait du « Cercle »).

Avec son titre Ă  la Magritte, « Ceci n’est pas un film » ne parlera pas Ă  tout le monde, c’est sĂ»r. Mais pour peu que l’on s’intĂ©resse au cinĂ©ma iranien et Ă  la situation complexe des rĂ©alisateurs du cru – et il y a pour cela du potentiel, si l’on considĂšre le succĂšs surprenant et mĂ©ritĂ© de « Une sĂ©paration » d’Asghar Farhadi – cet exercice de style, sorte d’essai documentarisĂ©, s’avĂšre passionnant, malgrĂ© son esthĂ©tique relativement dĂ©nudĂ©e. C’est que l’émotion transmise par Panahi est d’autant plus communicative que l’on sent poindre, derriĂšre la sĂ©rĂ©nitĂ© apparente de sa cage dorĂ©e, le cauchemar de l’enfermement, lorsqu’il clame, en dĂ©tournant le regard, qu’il aimerait « enlever le plĂątre ». Avant d’expliquer l’expression : lors du tournage de son film « Le Miroir », la petite fille incarnant l’hĂ©roĂŻne avait refusĂ© de continuer Ă  jouer son rĂŽle. Elle avait furieusement retirĂ© le faux plĂątre de son bras avant de s’éloigner du bus oĂč se dĂ©roulait la scĂšne. Panahi, pareillement, prĂ©fĂ©rerait ne plus interprĂ©ter le rĂŽle du cinĂ©aste martyr empĂȘchĂ© de tourner, et pouvoir agir Ă  son grĂ©. Et puis, on tient bien mieux une camĂ©ra sans ce plĂątre pesant sur le bras.

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