© Metropolitan Filmexport
Dans cette relecture du conte de Blanche Neige, la méchante reine a pris le pouvoir après la disparition du roi et affame joyeusement son peuple dans le but de donner de somptueuses réjouissances au château. Sa belle-fille Blanche Neige est assignée à résidence dans sa chambre, surtout lorsqu’un bal est organisé : il ne faudrait pas qu’on la trouvât plus belle que sa marâtre. Quand un jeune et beau prince se présente à la cour et que Blanche Neige attire son regard, la reine décide de la faire assassiner…
L’univers visuel de Tarsem Singh se déploie non pas dans l’espace, mais dans une temporalité parenthétique – celle des mythes et des contes, du subconscient et des replis psychologiques. « Les Immortels », film-essai bourré de défauts, n’en signalait pas moins le goût du cinéaste d’origine indienne pour cette temporalité alternative de la légende qui force à reconsidérer notre relation à notre contemporanéité : tout discours sur hier est aussi un discours sur aujourd’hui. « Blanche Neige » va encore plus loin en ce sens : en proposant une relecture d’un conte traditionnel des frères Grimm et en y apposant un arrière-plan résolument onirique, avec décor grandiloquent de château merveilleux et personnages taillés dans des blocs de caricature, Singh s’amuse à nous éloigner au maximum du monde réel pour, paradoxalement, mettre mieux ce dernier en perspective. Sous couvert d’expérimentation visuelle – on sait l’attirance du réalisateur pour la forme mutante, entre image numérique et décor pittoresque – ce « Blanche Neige » traduit une inquiétude sourde pour l’état actuel du monde.
On peut légitimement douter de cette thèse à la vue des premières minutes de « Blanche Neige », parfaitement triviales : la voix off de Julia Roberts relate la vie du royaume, la disparition du roi son mari et ses relations avec sa belle-fille jouée par Lily Collins. Mais immédiatement, la méchante reine fait preuve d’un cynisme assez déroutant, peu en accord avec le style visuel choisi par le cinéaste, et néanmoins très parlant quant au message qu’il désire faire passer : ce monde, aussi féerique soit-il, n’est qu’artifices et simulacres. Le film entretient des passerelles narratives avec le « Raiponce » de Disney, notamment avec la jeune princesse assignée à résidence dans une tour d’ivoire, l’arrivée impromptue du héros masculin, la rencontre avec des voleurs et la découverte de la vie à l’extérieur du château, le tout renforcé par la présence du compositeur Alan Menken, déjà aux commandes musicales de la production Disney ; pour autant, le scénario de Marc Klein et Jason Keller étonne par sa capacité à recomposer les parcours traditionnels de l’initiation adolescente, tout en restant très proche des jalons habituels du genre. C’est la forme qui sert ici à créer de la distance par rapport au sujet : apposée à un récit conventionnel, l’esthétique numérique (création des décors par ordinateur, animation de créatures de synthèse, amples mouvements de caméra en plan général) modifie la perception que nous avons d’une histoire éreintée par le temps. On pense ici aux expérimentations d’un Robert Zemeckis sur « Beowulf » ou « Le Drôle de Noël de Scrooge », la performance capture en moins.
Rapidement, réalité et réalisme font leur retour dans l’univers de « Blanche Neige » : la jeune femme, chassée du château, errant en forêt, rencontre les fameux sept nains. Mais de consciencieux travailleurs chantant sur le chemin du retour du boulot, ceux-ci sont devenus de cyniques brigands entièrement voués au crime – vengeance lointaine de leur bannissement du village lorsque la reine prit le pouvoir. Entre une souveraine qui prend aux pauvres des villages pour organiser de somptueuses réjouissances en son château, jouant sur la crainte des invasions extérieures pour justifier d’une imposition toujours plus élevée, et des nains néanmoins sympathiques qui dérobent et pillent pour subsister après qu’on leur a enlevé leurs honnêtes moyens de vivre, en passant par une princesse naïve qui découvre progressivement les réalités du royaume et apprend à vivre de sa rapine au profit de son peuple, « Blanche Neige » peut aisément être lu comme une critique acerbe de l’autorité absolutiste et personnifiée (la reine dirige seule ses ouailles, menée uniquement par l’ambition de rester belle et d’épouser un jeune prince), ainsi que de la décadence sociétale amenée par les dérives du capitalisme sauvage. Loin des préoccupations des frères Grimm, la question qui s’y pose est celle du bon fonctionnement d’une société basée sur la redistribution des richesses plutôt que sur leur confiscation.
On n’attendait pas tellement Tarsem Singh dans ce registre après le brouillon « Immortels », mais le réalisateur prouve ici, avec ce film mené tambour battant, parsemé de bons mots et de répliques enlevées, que le cinéma de l’imaginaire n’est pas dénué de préoccupations morales contemporaines – pour peu qu’on veuille bien les chercher sous le stupre de l’esthétique et le verbiage du post-modernisme.
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