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Durant les années 1960, Margaret, peintre et mère divorcée, quitte son mari. Elle rencontre rapidement un nouvel homme, Walter Keane, qui intègre sa vie. Ce dernier peint des scènes de rue et tous deux espèrent percer dans le monde de l’art. Mais les galeries les repoussent. Un jour, une dispute entre Walter et le gérant d’un bar devient le point de départ du succès des œuvres d’art du couple. Seulement, Walter s’attribue les tableaux de sa femme, ceux qui évoquent les enfants aux grands yeux. La supercherie durera des années, jusqu’à ce que Margaret brise enfin le silence…
Tim Burton n’a pas fini de nous étonner. Cela fait déjà deux années que le célèbre et sombre réalisateur ne nous avait pas entraîné dans l’un des ses univers captivants. Et il est clair que Tim a le mérite d’être épatant. Il nous avait habitués au fantastique, que ce soit avec « Edward Aux Mains D'Argent » (1990), avec le film d’animation « L'étrange Noël De Monsieur Jack » ou plus récemment pour Disney avec « Alice au Pays des Merveilles ». Au travers de ces divers films, c’est dire si le style burtonnien se reconnaît, donnant naissance à des longs-métrages sombres et imaginaires. C’est pourquoi son choix d’un biopic était tout à fait surprenant. Vingt ans après la sortie d’ « Ed Wood », il semble ainsi revenir à ses premiers amours. Pourtant, lorsque l’on regarde de plus prêt les toiles peintes par Margaret Keane, il semble évident que les grands yeux des enfants puissent avoir inspiré l’œuvre entière du réalisateur. Ainsi, cela fut–il sûrement pour lui une évidence d’adapter la vie de cette artiste aujourd'hui méconnue. À la manière des peintres qui passent par différentes périodes, Burton semble ici prendre un nouvel élan ; ou bien n’est-ce qu’un choix consistant à prendre un risque ?
Et pour cela, Burton sait s’entourer, comme à chaque projet qu’il mène. Le couple phare est joué par deux des acteurs les plus talentueux de leurs générations. Amy Adams, d’abord, découverte dans la série Smallville puis révélée par Steven Spielberg dans « Arrête-moi si tu peux ». Elle enchaîne petit à petit les succès et tourne avec les plus grands metteurs en scène comme David O. Russell dans « American Bluff » et Clint Eastwood dans « Une Nouvelle Chance ». Elle a également incarné Loïs Lane dans l'adaptation de Superman de Zack Snyder, « Man Of Steel ». À la fois juste et naturelle, Amy Adams ne semble être qu’au début d’une longue carrière. Elle a d’ailleurs déjà été récompensée pour son interprétation de Margaret Keane pour laquelle elle a reçu le prix de la Meilleure Actrice aux Golden Globes 2015. À tout juste quarante ans, il est vrai qu’elle joue à merveille cette artiste si naïve, qu’elle se laisse embobiner par son mari. Christoph Waltz, ensuite, incarne avec brio le mari manipulateur et mythomane. Cet autrichien reconnu sur le tard n’en est pas à son premier succès puisqu’il a eu l’occasion de nous montrer son talent de nombreuses fois. Quentin Tarantino l’a mis en scène dans « Inglourious Basterds » et « Django Unchained », film pour lequel il a lui aussi été récompensé, notamment aux Oscars avec le prix du Meilleur Acteur dans un Second Rôle. C’est dire si le duo choisi par Tim Burton allait fonctionner.
Les seconds rôles, quant à eux, ne sont pas en reste puis qu’on aperçoit la jolie Krysten Ritter qui a fait ses preuves dans la série adorée Breaking bad, mais également la coupe au bol de Jason Schwartzman repéré dans « Marie-Antoinette » et plus récemment dans « The Grand Budapest Hotel ». Le travail d’adaptation de la vie du couple est plutôt réussi, puisque le scénario se résume principalement à l’essentiel. L’histoire a été contée par deux pointures dans le milieu des scénaristes que sont Scott Alexander et Larry Karaszewski. Ces deux talents ont notamment déjà œuvré sur « Ed Wood » mais aussi sur « Man on the Moon ».
Dès le début du long-métrage, l’héroïne quitte, avec sa fille, le cocon familial pour un nouveau départ. Très vite, elle tombe sur Keane qui l’embobine dès les premières secondes de la rencontre. Margaret, incrédule, accepte la demande en mariage soudaine du menteur pour assurer la garde de sa fille. S’en suivent les succès de ses toiles et l’enchevêtrement de non-dits qui mènent à une vérité cachée. Durant cette période, la peintre se cherche et peint même des portraits à l’inverse de ses orphelins, afin d’exister par elle-même dans un autre univers. Le couple finira par se déchirer pour enfin laisser exploser la réalité.
Pourtant, si le biopic n’est pas un genre que Burton aborde régulièrement (seulement « Ed Wood » en 1994), on peut notamment observer dans « Big eyes » la patte du maître. Certaines prises de vue sont typiques du créateur d’ « Ed Wood » comme par exemple les gros plans, les plongées et à l’inverse les contre-plongées. La séquence qui se déroule dans le super marché, lorsque Margaret fait ses courses, représente la mécanique engendrée par Burton. En effet, la peintre semble voir de « grands yeux » sur chaque client qu’elle croise. Là, on ne peut être que chez Burton. De plus, l’esthétisme du film est tout simplement bluffante. Que cela soit au niveau de la lumière ou des décors, il est clair qu’un travail minutieux fut réalisé pour obtenir ce rendu. On se croirait constamment au cœur d’une toile. La bande originale à la fois jazzy et très années cinquante colle bien au film. Le fidèle acolyte de Burton, le compositeur Danny Elfman ainsi que Lana Del Rey et Cast Of Big Eyes nous accompagnent comme il se doit dans le parcours de Madame aux grands yeux.
« Big eyes » demeure une histoire sans fioriture certes, mais un récit authentique et sincère. La réalité prend le dessus sur l’imaginaire du plus fantastique des réalisateurs du genre. Mais le film laisse apercevoir pour une fois une facette de Tim Burton que l’on n’imaginait pas. Il en devient un portrait personnel presque intime. Vous reprendrez bien un petit peu de douceur pastel dans ce monde hostile ?
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