affiche film

© Haut et Court

APOLLONIDE (L’)

Souvenirs de la maison close


un film de Bertrand Bonello

avec : Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca, Noémie Lvovsky, AdÚle Haenel, Iliana Zabeth, Xavier Beauvois, Jacques Nolot, Louis-Do de Lencquesaing


La vie des filles d’une maison close parisienne s’organise autour d’une femme marquĂ©e d’une cicatrice en forme de sourire, et sous la houlette d’une maquerelle trĂšs maternelle. De l’extĂ©rieur, rien n’est montrĂ©, sinon l’impression que la fin du XIXe siĂšcle s’écoule lentement et sĂ»rement



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Photo film

Portes ouvertes sur maison close

L’éternel sourire qui dĂ©figure le visage de Madeleine, pendant fĂ©minin du Gwynplaine de Victor Hugo, n’est qu’un trompe-l’Ɠil. Dans « L’Apollonide », les monstres ne sont pas les filles de la maison close dirigĂ©e par Marie-France (NoĂ©mie Lvovski), ce sont les clients qui les viennent visiter, faibles et fĂ©briles crĂ©atures dĂ©sireuses d’assouvir leurs passions primaires. Certains de ces monstres s’avĂšrent particuliĂšrement dangereux – la cicatrice riante de Madeleine est le cadeau d’un habituĂ© – mais, pour la plupart, ils sont simplement Ă  la recherche d’un sein oĂč ils puissent cacher un temps leur monstruositĂ©, Ă  l’abri des regards extĂ©rieurs, dans le confort ouatĂ© de chambres verrouillĂ©es. Ils ne souhaitent pas exister en plein jour ; pourtant, ce sont des monstres involontaires, que la sociĂ©tĂ© a crĂ©Ă©s de toutes piĂšces Ă  son image.

La sexualitĂ© n’est pas un sujet neuf. Ni pour le cinĂ©ma – la premiĂšre apparition d’une prostituĂ©e Ă  l’écran date de 1900, soit trĂšs peu de temps aprĂšs l’invention du cinĂ©matographe. Ni pour Bertrand Bonello, rĂ©alisateur du « Pornographe » et de « Tiresia ». La sexualitĂ©, contrairement aux clients de la maison close, n’est pas en elle-mĂȘme monstrueuse ; c’est sa version tarifĂ©e, son commerce officialisĂ©, qui dĂ©range. Bonello plonge sa camĂ©ra sans gĂȘne au cƓur de cet embarras. Il filme la prudence d’une prostituĂ©e recevant un nouveau client, la joie des filles occupant le salon, en attendant le travail, leur proximitĂ© lascive avec ces bourgeois qui viennent chercher chez les filles un peu de joie - certains demandant Ă  rester jusqu’au petit matin, Ă  une heure oĂč, traditionnellement, il faut avoir retrouvĂ© ses pĂ©nates.

Le rĂ©alisateur fait de la prostitution un geste de cinĂ©ma : offrir un instant de perversitĂ© Ă  un homme, c’est comme projeter une pellicule dans une salle obscure. Bonello lui-mĂȘme file la mĂ©taphore : « On peut dire que le personnage incarnĂ© par NoĂ©mie Lvovsky, c’est moi, metteur en scĂšne de cette maison. Il fabrique son dĂ©cor, elle demande de l’aide au prĂ©fet comme moi je demande de l’argent au CNC
 Le client, c’est peut-ĂȘtre le spectateur. » Le cinĂ©ma c’est de la prostitution, mais la prostitution, c’est aussi un peu du cinĂ©ma : il faut sans cesse inventer de nouvelles figures, de nouveaux dĂ©cors, afin de stimuler l’imagination des habituĂ©s et se protĂ©ger contre les chausse-trappes fictionnelles de clients trop ambitieux. Alors Bonello convoque l’élĂ©gance d’un Buñuel, notamment lors d’une scĂšne onirique et dĂ©rangeante sur la fin qui voit le fantasme de Madeleine se rĂ©aliser.

Structurellement, « L’Apollonide » roule de rĂ©cit en rĂ©cit, comme une ronde allant de fille en fille. C’est moins la chronologie qui importe, que les multiples envies de cinĂ©ma qui Ă©manent du film : ambiance XIXe siĂšcle, illustration littĂ©raire, gravure venue Ă  la vie, voluptĂ© des corps et des dĂ©cors, douceur des travellings, dĂ©licatesse des courbes fĂ©minines qui s’obstinent Ă  dĂ©fier les bonnes mƓurs, voilĂ  ce que filme Bonello. Le monde de la morale, bien-pensant, est volontairement laissĂ© Ă  la porte par le rĂ©alisateur, qui n’en veut pas dans sa maison hermĂ©tiquement close. Le monde du dehors ne se manifeste que par le biais des clients, qui dĂ©barquent, comme des fantĂŽmes, une fois la nuit tombĂ©e. Alors, les filles embauchent, et que commence la dĂ©bauche.

La camĂ©ra se fait le tĂ©moin voluptueux et lascif du quotidien de la communautĂ©. Les filles sont comme des sƓurs protĂ©gĂ©es par la tutelle de leur mĂšre maquerelle. Elles forment une famille disparate : il y a Madeleine, dite la Juive, transformĂ©e en Joker fantasmatique ; il y a Julie, dite Caca pour sa « spĂ©cialité » ; il y a celles qui ont des habituĂ©s, hommes mariĂ©s qui viennent tous les soirs leur titiller la pointe des seins aprĂšs quelques coupes de champagne. Pour autant, Bonello Ă©vacue tout le glauque et le sordide d’une pareille affaire pour leur prĂ©fĂ©rer la sensualitĂ© pesante des longs travellings, notamment autour du salon oĂč les couples se nouent et les commerces s’engagent.

MalgrĂ© sa voluptĂ©, « L’Apollonide » manque de quelque chose, un grain de sel qui ferait oublier son rythme nonchalant et le style parfois affectĂ© de sa mise en scĂšne, cette impression rĂ©guliĂšre de voir adaptĂ© Ă  l’écran un roman de Maupassant. Quant Ă  la question idĂ©ologique, Bonello se prend les pieds dedans en toute fin de course, en insĂ©rant un Ă©pilogue dĂ©calĂ© qui ne sert Ă  rien, sinon Ă  ressasser la thĂšse dĂ©veloppĂ©e en sous-texte durant tout le long-mĂ©trage : en regard des filles qui monnaient leur corps, mieux vaut la commoditĂ© d’une maison que le sordide de la rue.

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