DOSSIER

Affiche

ZOOM SUR UN GENRE : les Seniors au cinéma


Que deviennent les acteurs phare des années 70 et 80 dans le cinéma d’aujourd’hui ? Certains disparaissent des écrans, préférant sans doute laisser encore vive l’image de leur jeunesse dorée. D’autres se cantonnent à des seconds rôles de senior, tels que le vieil oncle ou la belle-mère de service, parce que leur âge ne leur donne plus guère le choix. Mais pour une poignée d’entre eux, le passage à la soixantaine est l’occasion en or d’incarner des personnages forts et centraux, dont la « séniorité » est parfois même le principal attribut. Si l’on considère ces dernières années : Meryl Streep et Alec Baldwin dans « Pas si simple » de Nancy Meyers (2009), Jack Nicholson et Diane Keaton dans « Tout peut arriver » de la même réalisatrice (2004) ou encore Dustin Hoffman et Emma Thompson dans « Last chance for love » de Joel Hopkins (2009)… La liste n’est pas si longue, mais les films mettant les seniors au cœur de leur intrigue ont fini par créer un genre à part entière, avec son lot de codes et de thématiques récurrentes. En voici un petit aperçu, au travers de 4 films sortis en France cette année.

Photo2

Le couple à l’épreuve du temps
Lorsque l’on devient grand-parent, il semble assez naturel –dans la vraie vie comme au cinéma- de se poser des questions sur sa vie et sur ce que l’on a construit. Quand arrive la retraite, la soudaine perte d’activité vient renforcer cet état introspectif. Et quand on est en couple, la crise existentielle n’est pas très loin. Dans « 3 fois 20 ans » de Julie Gavras, le couple formé par Isabella Rossellini et William Hurt est mis à mal par leurs réactions contradictoires face à la crise de la soixantaine. Tandis qu’elle prend conscience d’être passée « de l’autre côté », et s’attèle alors à prendre toutes les mesures domestiques nécessaires pour anticiper l’arrivée de la sénilité (un téléphone fixe à gros chiffres, des barreaux au-dessus de la baignoire…), lui se laisse bercer par l’illusion d’être encore un architecte au sommet de sa forme, reprochant à son épouse de vouloir l’enterrer trop vite. Leur crise pourrait être celle d’un couple plus jeune, dont les deux êtres verraient leur conception de la vie diverger. Néanmoins, l’urgence du temps qu’il reste et du corps qui vieillit constitue une épreuve particulièrement difficile à surmonter, parce qu’irrémédiable, même pour un couple complice et uni comme celui formé dans ce joli film par William Hurt et Isabella Rossellini.

Photo3

Savoir séduire à 60 ans passés…
Qui dit temps qui passe dit stigmates de l’âge. Un senior qui vieillit bien et reste élégant n’en demeure pas moins marqué par le temps, et perçu comme appartenant à sa catégorie d’âge (et George Clooney n’échappe pas à la règle, finalement). La scène dans laquelle Isabella Rossellini se toise sous tous les angles dans le miroir de sa salle de bain, tâtant scrupuleusement les zones où la distension de sa peau trahit son âge, n’est pas sans rappeler celle où Gianni di Gregorio, dans le film « Gianni et les femmes », tente par la force du Saint Esprit de faire disparaître les poches qui alourdissent ses yeux. Ce comportement peut sembler inhabituel chez un homme, les rides étant généralement moins diabolisées que chez une femme. Toutefois, il trahit le regret que l’on peut ressentir lorsque, passé un certain âge, on réalise que l’on n’est plus un objet de désir et de convoitise chez les plus jeunes individus. Gianni, malgré les chaleureux égards qu’il reçoit de sa charmante voisine, sait que celle-ci le voit davantage comme un gentil papy que comme un potentiel amant. Et ce n’est pas faute d’être souvent en mode séduction ! En témoigne cette hilarante scène dans laquelle il déploie, avec son meilleur ami, tous les moyens qu’il possède (flatteries et carte bleue) pour séduire –en vain- deux magnifiques jumelles.

Photo4

… et savoir ouvrir son cœur
Dans le 3e volet du film à sketches italien « L'Amour a ses raisons » de Giovanni Veronesi, c’est plutôt le phénomène inverse qui se produit. Robert de Niro, historien américain exilé à Rome depuis quelques années, tombe sous le charme de Monica Bellucci, fille de son roublard de gardien d’immeuble (incarné par Michele Placido). Or cette fois-ci la réciproque s’installe et, quand le rapprochement s’opère, notre senior réalise qu’il n’est pas si aisé d’ouvrir son cœur. D’autant que le cœur en question n’a pas « servi » depuis de nombreuses années et que, appréciez la métaphore, il a même souffert au point de nécessiter une transplantation. Le bonheur et l’étonnement de se rendre compte que l’on peut aimer et être aimé, que l’on est capable de vivre à nouveau en somme, transparaissent dans une jolie scène où Robert de Niro, grisé par l’alcool, entame face à Monica Bellucci un strip-tease aussi maladroit que touchant. Dépasser ses craintes de se mettre à nu et recommencer une nouvelle vie, n’est-ce pas au fond le plus beau pied de nez que l’on puisse faire au temps qui passe ?


Les seniors au travail : in ou out ?
Comme si se voir vieillir et devoir remettre en cause leur existence ne suffisait pas, les seniors doivent aussi faire face à la difficulté de continuer d’exister professionnellement. Occuper un poste décisif est une chose, rester dans le coup face aux déferlantes de nouvelles générations assoiffées de succès en est une autre. Harisson Ford en fait les frais dans le film « Morning glory » de Roger Mitchell, où il endosse le rôle d’un reporter à la carrière légendaire, placardisé depuis quelques années par sa chaine TV. La jeune et belle Becky Fuller (Rachel McAdams) est recrutée pour relancer une émission matinale sur le déclin. Or la solution qu’elle trouve, en dehors des efforts faits pour rendre un peu plus délirantes les chroniques habituelles, est de faire venir le célèbre Mike Pomeroy (Harisson Ford), forcé contractuellement d’accepter. Qui, du vieux de la veille ou de la jeune laborieuse aux idées neuves, saura tirer son épingle du jeu ? Dans la vraie vie, la vérité est à mi-chemin. Au cinéma, la sagesse prime souvent sur l’audace. Dans « Morning Glory », c’est donc le senior qui donnera à sa jeune dauphine sa plus belle leçon de journalisme. Au travail comme dans la vie, ce n’est pas au vieux singe que l’on va apprendre à faire la grimace.

Les personnages principaux de seniors au cinéma ont-ils encore de beaux jours devant eux ? Vu le nombre d’acteurs restés très populaires et bankables malgré leur âge, on peut le présager. Ces personnages constituent par ailleurs une source d’inspiration pour les scénaristes, apportant une charge tantôt humoristique (mettez un vieux et un jeune ensemble et secouez le tout), tantôt dramatique (la peur de vieillir, le regret face à la vie accomplie). Mais accepter d’endosser un rôle de senior en tant que tel semble être une décision de poids, un choix de carrière pouvant s’avérer irréversible, que finalement peu d’acteurs et actrices adoptent (vous remarquerez que ce sont souvent les mêmes). Comme quoi, il n'y a pas qu'au cinéma qu'il est difficile d'accepter de vieillir.

Sylvia Grandgirard

Partager cet article sur Facebook Twitter