DOSSIER

Affiche

ZOOM SUR UN GENRE : le western (2/4)


Au début des années 60, alors que le western classique américain va connaître une perte de vitesse, les Européens vont se réapproprier le genre et tout particulièrement les Italiens, qui imposeront les nouveaux codes. Dénigré par la critique américaine, le western italien sera dès lors associé au nom de « western spaghetti », sobriquet censé le rabaisser mais qui le rendra finalement bien plus populaire que jamais. L’ironie de la situation ne s’arrête pas à un simple nom, mais à une révolution du genre, orchestrée par une poignée d’hommes, dont un duo qui marquera l’Histoire du cinéma. Car si John Ford et John « Le Duke » Wayne auront marqué un genre, avec une centaine de films au compteur, il n’en faudra que trois à Sergio Leone et Clint Eastwood, deux hommes sur qui personne n’aurait misé, pour marquer toute une génération et créer une légende.
Détaché de toute légitimité historique, le western spaghetti peut ainsi créer de nouveaux codes et évoluer librement sans aucune contrainte de mémoire. Le western spaghetti va se détacher de son modèle, de son ancêtre, en deux points : de nouveaux codes scénaristiques et une nouvelle esthétique.




LE WESTERN SPAGHETTI

Le cliché du « cowboy-scout » et du « méchant Indien » est abandonné. Ici, tout le monde n’est pas net, à quelque chose à se reprocher, est mal rasé, puant… L’individualisme est prépondérant et même doté d’honneur, les « bons » n’hésitant pas à se transformer en « brutes » si la situation leur échappe. Le western spaghetti propose tout simplement des personnages et des situations proches de la réalité. Les séquences de violence sont bien plus présentes que dans le cinéma américain et peuvent même verser vers un fantastique avoué (comme dans « Tire encore si tu peux » de Giulio Questi en 1967, dont le héros revient presque d’entre les morts). Ici, ont saigne sous les impacts de balles, on peut perdre un membre, être défiguré… La violence est omniprésente. Tous ces changements laissent l’opportunité de créer des personnages et des histoires beaucoup plus complexes. Même un salaud peut avoir des sentiments (voir les retrouvailles entre Tuco et son frère dans « Le bon, la brute et le truand »).

Visuellement, les trois « Sergio » auront une influence totale sur le genre : Corbucci, Sollima mais surtout Leone, qui ouvre le bal en 1964 avec « Pour une poignée de dollars ». Cadrages exposant la nature dans toute sa splendeur (les paysages d’Almeria en Espagne) et sa cruauté, (très) gros plans, dilatation temporelle exagérée, plans fantaisistes, scènes de duels… sont autant d’éléments devenus clichés pour certains, mais surtout audacieux et novateurs. Le western spaghetti est pluriculturel, à l’image de ses tournages ou personne ne parle la même langue, et s’inspire donc d’autres genres majeurs de l’époque, principalement du chambara (film de sabre japonais). Les grandes figures de cinéma se nomment Sergio Leone, Sergio Corbucci, Sergio Sollima, Duccio Tessari, Damiano Damiani pour la réalisation et Tomas Milian, Giuliano Gemma, Clint Eastwood, Gian Maria Volonte, Klaus Kinski, Lee Van Cleef, mais aussi Orson Wells et Ringo Starr devant la caméra. Par ailleurs, impossible de ne pas citer l’immense Ennio Morricone pour la somptueuse musique qui sera à jamais associée au western spaghetti, dont voici 10 films clés.

Photo2

1 – LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND (Il buono, Il brutto, il cattivo) de Sergio Leone avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Eli Wallach (1966)

Alors que la guerre de sécession fait des ravages, trois hommes cherchent à s’emparer d’un trésor.

A la fois conclusion et possible 1er épisode de la « trilogie du dollar », « GBU » (pour « The Good, The Bad and The Ugly ») est la collaboration ultime entre Leone et Eastwood dans son personnage de l’homme sans nom. Leone qui, en plus d’ajouter un personnage principal de plus à chaque film afin de rendre son histoire plus consistante, y impose un contexte historique. Mais ce dernier élément n’est pas là pour donner un cours. Non, il sert uniquement à montrer que même dans un pays qui s’entre-déchire, l’or est le plus important.

2 – IL ETAIT UNE FOIS DANS L’OUEST (C’era una volta il west) de Sergio Leone avec Charles Bronson, Henry Fonda, Jason Robards et Claudia Cardinale (1968)

Alors qu’une lutte autour du contrôle du passage du chemin de fer s’instaure à Flagstone, un mystérieux pistolero doté d’un harmonica arrive en ville.

1er volet de la seconde et ultime trilogie américaine de Sergio Leone, « Il était une fois dans l’ouest » est sans doute l’un des films qui nouent le plus de liens avec l’univers du western américain. Il annonce la fin d’une époque réelle, avec l’arrivée du train dans l’ouest, et filmique, deux des trois desperados étant joués par les acteurs « classiques » Jack Elam et Woody Strode (« L’homme qui tua Liberty Valence » et « Spartacus » de Kubrick). Pour l’anecdote, ces trois hommes devaient être joués à l’origine par Eastwood, Van Cleef et Wallach, afin de mettre fin au 1er cycle de Leone.

3 – ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS (Per qualche dollaro in piu) de Sergio Leone avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Gian Maria Volonte (1965)

Le Colonel Mortimer (Van Cleef), devenu chasseur de prime, est à la recherche du bandit dénommé « l’indien » (Volonte). Il s’associe avec un autre chasseur de prime, « le manchot » (Eastwood).

Deuxième film de la « trilogie du dollar », « Et pour quelques dollars de plus » marque essentiellement pour la progression que Leone a fait entre les deux films et les ambitions que celui-ci affiche. La construction du flashback sur les motivations du Colonel place une fois de plus le film de Leone au dessus du lot.

Photo3

4 – POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS (Per un pugno di dollari) de Sergio Leone avec Clint Eastwood, Gian Maria Volonte (1964)

Un pistolero, « l’homme sans nom », arrive dans un village où deux clans se livrent une guerre destructrice. Afin de rétablir l’ordre dans la ville, l’étranger va se faire embaucher par les deux familles, semant une zizanie encore plus importante et destructrice.

Remake ouvertement assumé du film « Yojimbo » (« Le garde du corps ») d’Akira Kurosawa, « Pour une poignée » de dollars lance l’Histoire du western italien et les légendes de Leone et Eastwood. Le western spaghetti est né ! Et comme le dira Biff Tanne, bien plus tard dans un 1985 alternatif : « Quel putain de bon film, ah quel putain de bon film » !

5 – MON NOM EST PERSONNE (Il mio nome e nessuno) de Tonino Valerii (et Sergio Leone) avec Terence Hill, Henry Fonda, Geoffrey Lewis (1973)

Jack Beauregard (Fonda) est une légende de l’Ouest aspirant à la retraite et voulant vivre en paix. La rencontre avec Personne, jeune pistolero vouant un culte à son héros, lui fera peut être changer d’avis sur la manière d’en terminer avec son histoire.

Véritable métaphore sur les rapports entre le western classique, représenté par Fonda, et italien, représenté par Hill, « Mon nom est personne » traite à la fois de la mort d’une époque aussi bien réelle que cinématographique… tout comme « Il était une fois dans l’ouest ». Mais les destins des deux personnages interprétés par Fonda sont bien différents. Ici, on peut également y voir une métaphore du passage de flambeau vers l’Europe. Moins radical qu’un Peckinpah, dont le film y fait référence avec la fameuse horde sauvage, cette fin de l’Ouest et cette transformation des « légendes » en illustres anonymes (des « nobody ») est teintée d’une certaine nostalgie et d’une volonté de « dire au revoir » en beauté.

6 – IL ETAIT UNE FOIS LA REVOLUTION (Giu la testa) de Sergio Leone avec James Coburn et Rod Steiger (1971)

Au Mexique, John Mallory (Coburn), un spécialiste en explosifs au passé mystérieux, croise le chemin de Juan Miranda (Steiger), un bandit de grands chemins, pillant les diligences avec l’aide de toute sa famille. Décidant de s’allier afin de braquer les réserves d’or de la banque d’Etat, les deux complices vont se retrouver, malgré eux, impliqués dans la révolution mexicaine.

Western spaghetti lorgnant vers le western zapatiste (le western mexicain), « Il était une fois la révolution » sera le dernier film du genre de Sergio Leone. Bien plus impliqué dans une réalité historique et politique que les autres westerns italiens (les révolutions mexicaines et irlandaises), le film de Leone offre de grandes scènes de spectacle tout en gardant ces moments d’humour typique du réalisateur italiens et des scènes d’émotions intenses. Le duo Coburn/Steiger n’est pas sans rappeler celui formé par Eastwood et Wallach dans « Le bon, la brute et le truand ».

Photo4

7 – DJANGO de Sergio Corbucci avec Franco Nero (1966)

Deux bandes rivales sèment la panique dans un village. Django, pistoléro mystérieux, débarque en possession d’un cercueil.

« Django » est un peu une réponse à « L’homme sans nom » par la concurrence, mais la comparaison s’arrête au niveau du pitch tant le traitement est différent. Corbucci réalise une œuvre violente, sans concession, et emprunt d’une aura mystique. Tournée sans vraiment de scénario, le film tire sa force d’un travail visuel important et du charisme de Franco Nero. Le nom de Django sera utilisé à toutes les sauces par la suite, afin d’attirer le spectateur plus facilement, alors que le vrai personnage ne réapparaîtra qu’en 1987, toujours avec Franco Nero.

8 – UN PISTOLET POUR RINGO (Una pistola per Ringo) de Duccio Tessari avec Giuliano Gemma (1965)

Un shérif voit sa fille se faire kidnapper par des bandits. Impuissant face à ces hommes, il décide d’engager Ringo, pistoléro aussi rapide que précis.

Présenté de façon moins grandiose qu’un « Homme sans nom » ou qu’un Django, Ringo n’a rien à envier à ses concurrents. Représentant le spectre un peu plus léger du western spaghetti, Ringo tient plus du cowboy au grand cœur éliminant les méchants et sauvant les jeunes filles en détresse que du pistolero calculateur et intéressé. Magnifique musique et chanson d’Ennio Morricone (une fois de plus).

9 – LE RETOUR DE RINGO (Il ritorno di Ringo) de Duccio Tessari avec Giuliano Gemma (1966)

Alors qu’il revient de la guerre de sécession, Ringo découvre que sa ville natale est dirigée par des bandits mexicains, que sa femme l’a abandonné et que ses funérailles ont été célébrées. Décidé à rétablir l’ordre, Ringo le fera par les armes.

Réalisé sur un ton beaucoup moins léger que l’épisode précédant, « Le retour de Ringo » affiche de toutes autres ambitions. Gemma, métamorphosé, y camp un Ringo bien plus impitoyable qui ne laissera personne l’empêcher de rétablir l’ordre et la justice. La collaboration avec Duccio Tessari fonctionne bien, mais ce film sera le dernier de la série. Tout comme avec Django, le nom de Ringo sera utilisé, alors que le personnage n’est même pas dans le film, par des producteurs sans scrupules afin d’attirer plus facilement le spectateur.


10 – ON L’APPELLE TRINITA (Lo chiamavano Trinita) de Enzo Barboni avec Terence Hill et Bud Spencer (1970)

Trinita, surnommé « la main droite du diable » pour sa rapidité au tir, est un cowboy au grand cœur mais roublard et fainéant. En voulant aider un pauvre Mexicain, il se retrouve dans une petite ville dont le shérif n’est autre que son frère Plata, « la main gauche du diable ». Ensemble, ils devront aider une communauté de mormons harcelés par des Mexicains et un puissant propriétaire terrien.

La série des « Trinita » créera un genre à part entière à l’intérieur du western spaghetti : le western slapstick. Marque de fabrique du duo Terence Hill et Bud Spencer, qu’ils utiliseront dans presque tous leurs films en commun, l’humour est omniprésent et les règlements de comptes se soldent le plus souvent par de grandes claques plutôt que par le pistolet. Sergio Leone qualifiera ce genre de film de dégradant pour le western italien, malgré un succès sympathique, et proposera le rôle titre de « Mon nom est personne » à Hill, figure désormais emblématique du western spaghetti.



Le western spaghetti, bien qu’ayant renouvelé le genre, s’essouffle vite et se termine à la fin des années 70, la faute à une qualité visant vers le bas. Cela prouve que si Sergio Leone a lancé un style (mais pas un genre), tout le monde ne peut l’égaler. La multitude d’essais loupés, comme l’introduction de personnages asiatiques dans les films, à la manière de « Mon nom est Shanghai joe » (1972) -le cinéma de karaté est en plein boom-, ne fera que l’enterrer de plus en plus. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, Eastwood est revenu avec de nouvelles idées, et toute une poignée de réalisateurs, jeunes ou anciens, est déjà en train de produire un nouveau style, puisant ce qu’il y a de mieux dans tous les genres, et plus en accord avec son temps : c’est le western contestataire américain, le western moderne.

Lire les autres parties :

1ère PARTIE : LE WESTERN CLASSIQUE AMERICAIN


3e PARTIE : LE WESTERN MODERNE


4e PARTIE : LE WESTERN LEGACY

François Rey

Partager cet article sur Facebook Twitter