DOSSIER

ZOOM SUR UN GENRE : le biopic, histoire d'un non-genre (3/4)


REALISME CATHARTIQUE

Ces postulats de mise en scène déjà passionnants deviennent édifiants lorsque le rapport du cinéaste à son sujet atteint un certain degré d’intimité. Car si Michael Mann exerce ce rapport avec un œil d’observateur des affects humains, Scorsese ou Polanski l’ont élevé à un niveau si personnel qu’il en devient dérangeant.

La réalisation de Raging Bull (1980), sorte de biopic ultime, permet à Scorsese de confronter sa propre expérience de vie à la déchéance du boxeur Jake La Motta, à l’autodestruction d’un homme hanté par une culpabilité métaphysique et qui ne peut l’expier que par ses poings. N’autorisant aucune identification avec cet être dont l’attitude confine à l’animalité, Scorsese expulse dans ce film toute sa rage, cherchant avant tout à se sauver lui-même, à atteindre la pureté formelle par l’abstraction, réalisant un objet cinématographique qui échappe au tout venant du biopic pour s’inscrire comme l’œuvre terminale d’un artiste qui la fit en pensant qu’il ne tournerait plus jamais par la suite. Et si heureusement pour nous Scorsese a depuis réalisé d’autres grands films, aucun n’a la dimension saisissante de Raging Bull.

Dans la même veine quasi psychanalytique figure Le Pianiste (2002) de Roman Polanski, l’histoire de Wladyslaw Szpilman, pianiste juif qui ne dû son salut qu’à sa chance, sa relative lâcheté et la mélomanie d’un officier nazi. Si ici la réalité historique est palpable dans les décors, les personnages et les situations, l’orientation du récit est conditionnée par les fantômes d’un cinéaste qui n’en a pas tout à fait fini avec le ghetto de Varsovie qu’il « expérimenta » dans sa jeunesse et où mourut sa mère. Expiant ses vieux démons dans la description froide de la fuite autant que de la survie d’un homme, Polanski met en scène l’abandon de toute humanité (tant celle de son personnage que celle du monde) avec l’art comme seule alternative et moyen d’élever les êtres.

A la croisée de Forman (célébration du pouvoir de la création) et de Scorsese (approche cathartique et abstraction formelle), Polanski est à son tour à l’origine d’un biopic qui s’inscrit dans un genre tout en le défiant, trouvant son identité propre à travers le regard de son auteur.

Darkman

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