DOSSIER

ZOOM SUR UN GENRE : le biopic, histoire d'un non-genre (2/4)


DETOURNER LA REALITE

Mais si certains se sont attachés à mettre en exergue la dimension métaphysique de leurs sujets, d’autres se sont réappropriés leur personnalité pour élever leur propos. Précurseurs et visionnaires dont les œuvres ont marqué de façon irrémédiable l’histoire du cinéma, Welles et Chaplin ont ainsi réalisé à la même époque des biographies très officieuses de Randolph Hearst et d’Adolf Hitler, respectivement dans Citizen Kane (1941) et Le Dictateur (1940). Reste que les ambitions de l’un et de l’autre étaient diamétralement opposées.

Welles a ainsi construit son œuvre sur des similitudes plus que des faits exacts, s’inspirant de Hearst pour réaliser un immense film sur la solitude, le pouvoir, la création et la destruction. La réalité historique n’étant plus alors qu’une source, un véhicule pour la fiction, pour que celle-ci s’inscrive dans l’imaginaire d’une époque.

Chaplin a pour sa part donné dans la parodie, ridiculisant avec jubilation Hitler, anticipant la folie dictatoriale de son référant, car pour rappel le tournage du Dictateur débuta en 1938, avant même que le monde ne sombre dans la seconde guerre mondiale. Transformant le monstre en bouffon hystérique, Chaplin n’a pas respecté la réalité de son personnage. Il en a capté l’essence, le réduisant à des gestes excessifs et des paroles incompréhensibles.

Ou l’art, tant chez Welles que chez Chaplin, de détourner le biopic pour affirmer une vision politique, morale et intellectuelle.

Si la réalité historique est parodiée ou réduite à n’être que source d’inspiration, elle est parfois comme dans Ali(2001) subtilement modifiée. Ainsi, le plus grand boxeur de tous les temps est extrêmement intériorisé dans l’oeilleton de Michael Mann, là où le documentaire de Leon Gast et Taylor Hackford When We Were Kings (1997) montre un Muhammad Ali expansif et véhément. Paradoxalement, si le film de Mann ne rend que partiellement justice à la rage subversive du personnage, le spectacle de l’intime que le cinéaste met en scène, donne à voir, au-delà de son apparence bouillonnante, un homme profondément habité.

D’ailleurs (et ce avant Ali) Mann avait avec Révélations(1999) dressé le portrait de Jeffrey Wigand non pas pour mythifier cet homme mais pour rendre compte des implications personnelles engendrées par une situation globale, à savoir la lutte contre l’industrie du tabac.

Là encore la véracité n’est pas une obsession. Il importe au cinéaste d’utiliser une réalité historique pour accéder à ce que sous-entend le conflit de l’homme banal face au monde, de convoquer une dimension qui va bien plus loin que la seule retranscription de faits.

Darkman

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