La sortie tardive de « Il divo » au cœur de l’hiver (le 31 décembre 2008, difficile de faire plus tard !), ne doit pas nous faire oublier à quel point ce film a agréablement surpris les festivaliers cannois, même ceux qui avaient été rebutés par le personnage principal ou l’absence apparente de mise en scène de « l’Ami de la famille », film précédent de Paolo Sorrentino. Jeune espoir du cinéma transalpin à 38 ans, il s’est cette fois-ci distingué par la modernité et l’électricité de son style, ce qui a lui a permis de figurer au Palmarès du jury de Sean Penn. L’occasion pour nous de revenir sur son œuvre assez courte, mais très prometteuse.
L’ange et le démon
Dès son premier film, intitulé « L’uomo in più » (“l’homme en plus”), Paolo Sorrentino aborde un thème qui guidera par la suite toute son oeuvre : celui de la dualité humaine, du bien et du mal qui nous habitent et tiraillent chacun de nous.
Sorti en 2001, le film retrace l’histoire de deux hommes inspirés de personnages réels ayant marqué la culture populaire italienne, dans la Naples du début des années 1980 (la ville d’origine de Sorrentino). D’abord Tony, un chanteur de variété cynique et opulent, aussi dépravé que célèbre. Puis Antonio, une star du football de tempérament réservé, dont le talent n’a d’égal que son intégrité. Ils ne se connaissent pas, ne se ressemblent en rien, mais ils suivront la même destinée : celle d’arriver au sommet de leur art, puis de tout perdre en un clin d’oeil. Or l’un des deux est “l’homme en plus”, celui qui parviendra à renaître de ses cendres, et même à changer. L’autre, englouti par ses démons, victime de ses faiblesses, fera office de sacrifié. Véritable film-culte en Italie, ce premier film n’avait alors pas trouvé de distributeur en France et reste d’ailleurs toujours inédit à ce jour chez nous. Il fait pourtant preuve d’une grande maîtrise, tant dans l’écriture que dans la mise en scène. Il marque aussi le début d’une collaboration fructueuse entre Sorrentino et Tony Servillo qui, avec son rôle de chanteur repenti, révèle sa prédisposition aux personnages cyniques.
L’art de sublimer le mal
Les deux hommes se retrouvent quatre ans plus tard sur le tournage des « Conséquences de l’amour », l’histoire d’un homme contraint de vivre à l’hôtel loin des siens et de s’adonner à des activités secrètes. Malgré un succès en salle relatif, c’est déjà la consécration : le film est présenté au 57e festival de Cannes et fait découvrir au public ébahi une nouvelle forme de cinéma, dominé par un esthétisme ultra-sophistiqué. Une telle maîtrise surprend, surtout venant d’un réalisateur quasiment inconnu et âgé de seulement 34 ans. La rigidité de la mise en scène, chorégraphiée au millimètre près, sert parfaitement l’austérité du personnage central, un homme sombre et secret incarné avec virtuosité par Tony Servillo. Là encore, Paolo Sorrentino s’attache à décrire la versatilité de la nature humaine, prompte à renoncer au mal pour s’émouvoir face à la beauté et trouver la paix à travers la rédemption. « Les Conséquences de l’amour » doit également sa beauté à une bande-son efficace, qui rythme chaque mouvement de caméra. On comprend ainsi avec ce film que, chez Paolo Sorrentino, la musique fait partie intégrante de la mise en scène. Le film, reparti sans prix du Festival de Cannes, est tout de même récompensé du Grand Prix du Festival du Film romantique de Cabourg.
Un miroir de l’âme peu réjouissant
Son troisième long métrage, « l’Ami de la famille », pousse encore plus loin l’obsession pour les personnages détestables. Cette fois-ci, le protagoniste est un usurier sale, radin, fourbe et laid. Véritable incarnation du mal, il use et abuse de la pauvreté des autres pour bâtir sa fortune, souffrant d’une solitude qu’il entretient malgré tout avec une complaisance malsaine. Un paradoxe qui le distingue de Tony, le chanteur véreux de « L’uomo in più », ou du mystérieux locataire des « Conséquences de l’amour », mais qui suinte tout autant le désespoir et le besoin de réconciliation. Bien que sélectionné à Cannes en 2007, le film connaît un accueil du public nettement plus mitigé. Une contre-performance qui s’explique certainement par la sobriété de la mise en scène, un peu trop discrète en comparaison des précédents opus du réalisateur napolitain.
Un nouveau pavé dans la mare : religion et politique
La sortie de « Il Divo » signe donc le retour très attendu du réalisateur à un cinéma sophistiqué, flamboyant et allégorique. Portrait à la fois réaliste et suggestif de Giulio Andreotti, figure politique et religieuse marquante de l’Italie actuelle, ce film décèle le mal dans les hautes sphères du pouvoir. Si Paolo Sorrentino a choisi de s’intéresser à un homme politique, c’est parce qu’il a toujours été fasciné par la personnalité complexe du personnage. A la fois ange et démon, il pourrait résumer à lui seul l’ambigüité humaine. Lauréat du prix du jury au festival de Cannes 2008 (la première consécration internationale pour Sorrentino), « Il Divo » confirme la virtuosité d’un grand cinéaste et le génie d’un acteur hors-pair, Tony Servillo. A noter que ce dernier a été récompensé pour ce rôle et sa performance dans « Gomorra » de Matteo Garrone, comme meilleur acteur européen aux European Film Awards.
Sylvia Grandgirard
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