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PARCOURS : Max Ophuls, le virtuose


Né avec le siècle dernier, Max Ophuls illustre la beauté dans son humanité. Sa carrière, guidée par l’histoire contemporaine, ressemble à un plan séquence qui traverse les frontières et les émotions. Eternel exilé, il sera perpétuellement en mouvement, tel sa caméra volubile, épousant les lignes voluptueuses des arabesques propres à son style dit « baroque ». A l’occasion de la rétrospective qui lui est consacrée au festival Lumière de Lyon, nous proposons de revenir sur le parcours hors norme de ce cinéaste mythique.



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De son vrai nom Maximillian Oppenheimer, Max Ophüls naît le 6 mai 1902 à Sarrebruck, aux confins de deux frontières. Après des débuts au théâtre, le jeune auteur aborde le cinéma dès la fin des années 20 en devenant dialoguiste d’Anatole Litvak. Très vite, il réalise ses propres films et sa courte carrière allemande est marquée par la très belle adaptation de la pièce d’Arthur Schnitzler « Liebelei ». Une œuvre de jeunesse qui marque d’ores et déjà l’attachement du cinéaste pour la Vienne 1900 et le romantisme intimiste qu’elle représente. Sa caméra impose déjà son style retenu, qui observe ses personnages d’un coin de décor pour ne pas déranger les protagonistes. Danielle Darrieux dira de lui : « Ophüls ne pouvait pas supporter les gros plans. Il n’aimait pas souligner, insister. Dès qu’une scène atteignait une certaine tension, la caméra se retirait, fuyait les interprètes, comme si elle était à la recherche d’un objet ou d’un coin de scénographie pour s’y cacher pudiquement. »

Anticipant la montée du nazisme, le cinéaste d’origine juive se fait naturaliser français et perd son « umlaut » (tréma allemand) pour devenir Max Ophuls. De ce côté-ci de la frontière, le style de l’auteur déraciné perd un peu de son élégance pour un genre plus caricatural. Les années passent et les horreurs de l’histoire lui imposent une nouvelle fois la fuite. Arrivé aux États unis en 1941, Ophüls connaît de longues années de chômage et une précarité qui laissera des traces. Son regard sur le monde est à présent plus acéré, plus féroce.

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« Letter from an Unknow Woman», 1948

Outre-atlantique, Max Ophüls renoue avec Vienne, sa ville mythique, en adaptant une nouvelle de Stefan Zweig : « Lettre d’une inconnue ». Lisa tombe amoureuse du pianiste qui vit à côté de chez elle, il séduit les femmes sans s’attacher, elle tombe sous son charme, ils se croisent, passent la nuit ensemble, il l’oubliera alors qu’elle, l’aimera jusqu’à sa mort. Au travers de cette histoire d’amour poignante, le cinéaste transporte sa caméra au gré de ruelles et d’escaliers. Un jeu de cache-cache entre deux êtres perpétuellement en mouvement, qui s’attirent et s’éloignent une vie durant. « Quand vous lirez cette lettre, je serai peut être morte. » Une introduction qui annonce l’histoire d’une existence marquée par les rendez-vous manqués. Des méandres brumeux aux intérieurs confinés, Ophüls sublime son image pour souligner toutes les nuances de l’attachement passionnel et pourtant impossible que porte Lisa à Stefan. Une œuvre magnifiquement aboutie qui marque un nouveau souffle dans la carrière du cinéaste.

Aux États-Unis, Ophüls commence à éprouver une certaine rancœur pour ce territoire si lointain de son Europe natale. Ses deux films suivant : « Caught » et « The Reckless moment » marquent une rupture dans le style du cinéaste d’habitude si virtuose. L’approche est beaucoup plus réaliste et montre une certaine lassitude de l’auteur pour le système hollywoodien. Il revient alors en France, retrouver un romantisme plus intimiste, et réaliser ses plus beaux chefs-d’œuvre.

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« Le plaisir », 1952

Après « La Ronde », adapté une nouvelle fois d’une œuvre d’Arthur Schnitzler, Ophüls se penche sur trois nouvelles de Maupassant : « Le Masque », « La Maison Tellier » et « Le Modèle ». Ces histoires montées en un seul et même film, « Le plaisir », sont construites sous forme de triptyque. Tel une œuvre picturale, les volets extérieurs soutiennent le panneau central qui porte aux nues l’apologie du bonheur. Débutant par l’un des plus beaux plans séquence de l’histoire du cinéma, le film suit un homme dansant avec frénésie dans « le palais de la danse ». Entre deux mouvements de jambe, il s’écroule. Il n’est autre qu’un vieillard portant un masque de jeune homme. Tandis qu’il est ramené chez lui par des danseurs, sa femme raconte sa vie et son éternelle quête du plaisir. Le plaisir, on le trouve à « la Maison Tellier », deuxième opus du film. La caméra s’envole une nouvelle fois en arabesque autour d’un petit immeuble, ne dévoilant ses occupants qu’au travers de persiennes ajourées. « La Maison Tellier » est close et le restera. Néanmoins, les habitudes des notables vont être bouleversées quand la petite entreprise ferme boutique pour cause de première communion. Accompagnant les filles dans cette aventure, le film tient alors son apogée dans une église ou chaque demoiselle retrouve le temps d’un instant son innocence à l’ombre du clocher. Le film entame alors sa descente vers le troisième volet : « Le Modèle », où un homme se sacrifie, coupable de ne plus aimer une femme qui, elle, l’aime au point de se jeter par la fenêtre et de rester handicapée. « Si le plaisir est chose facile, le bonheur assurément n’est pas gai ». Telle sera la morale de ce film magnifiquement maîtrisé, exaltant tout le génie d’Ophüls à aller au plus profond de la nature humaine avec une mise en scène en perpétuel mouvement.


« Madame de… », 1953

Max Ophüls n’a cessé au cours de sa carrière de déclamer son amour pour les femmes et pour ses actrices. Magda Schneider (mère de Romy) dans « Liebelei », Joan Fontaine (« Lettre d’une inconnue ») et Martine Carol (« Lola Montès ») ont toutes connu leur plus beau rôle devant la caméra du maître. Néanmoins, une seule deviendra sa muse : Danielle Darrieux. De sa rencontre avec l’actrice, naîtra une fantastique osmose qui verra son apogée avec leur plus beau film, à l’un comme à l’autre : « Madame de… ». Adapté d’un roman sans prétention de Louise de Vilmorin, le film raconte les déboires de Madame de… (le nom de famille sera toujours caché par un objet inopiné ou couvert par un bruit incongru). L’aristocrate, frivole et dépensière, a des dettes de jeu. Pour s’en dispenser, elle revend une paire de boucles d’oreille offertes par son mari. Le bijou passe de main en main pour se retrouver plus tard propriété du baron Donati. Nommé ambassadeur à Paris, celui-ci tombe éperdument amoureux de Madame de… et lui offre les boucles. Sous couvert d’une histoire légère, Ophüls, comme souvent, sublime le roman initial pour le détourner de sa vocation première. Le vaudeville laisse place à la passion, dévoilant l’une des plus belles histoires d’amour du septième art. Le couple, d’abord joueur, multiplie les valses dans les dîners mondains, pour se prendre au jeu et s’impatienter de se retrouver à nouveau. La cadence des pas de danse précipite le couple dans une inertie irrémédiable. « Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas ! » implore Darrieux dans l’embrasure de la porte pour se convaincre qu’elle pourra échapper à cet amour qui la bouleverse. Or il est déjà trop tard, et les deux amants se retrouvent piégés dans leur époque mais aussi par la souffrance feutrée du mari digne, noble et éperdument amoureux de sa femme. La caméra d’Ophüls s ‘envole à nouveau d’appartement en salle de bal, de duel en plage abandonnée, élevant le romantisme à son paroxysme. Renversant !


Peu après « Madame de… », Ophüls, au sommet de son talent, tente de réaliser trois autres films dans la foulée de ce dernier. Or les coûts démesurés de ses projets lui sont refusés par ses producteurs. Brimé, il accepte avec enthousiasme d’adapter la biographie de Lola Montès, une courtisane scandaleuse du 19e siècle. Très avant-gardiste, le film fut un échec retentissant, alors que la nouvelle vague le considérera par la suite comme un chef-d’œuvre. Max Ophüls décédera peu de temps après d’une maladie du cœur. Cinéaste malheureusement peu connu du grand public, il a influencé les plus grands (Jacques Demy, François Truffaut et Stanley Kubrick). Ni classique, ni avant-gardiste, il posait tout en volupté un regard intensément profond sur l’amour et la mort.

Filmographie

1931 : Dann schon lieber Lebertran (court métrage)
1932 : Le Studio amoureux (Die verliebte Firma )
1932 : La Fiancée vendue (Die verkaufte Braut)
1933 : Lachende Erben
1933 : Liebelei
1933 : Une histoire d'amour, version française de Liebelei
1934 : On a volé un homme
1934 : La Dame de tout le monde (La signora di tutti)
1934 : Scandale de Marcel L'Herbier, réalisation de quelques scènes
1935 : Divine
1936 : Valse brillante de Chopin
1936 : Ave Maria de Schubert
1936 : La Comédie de l'argent (Komedie om geld)
1936 : La Tendre Ennemie
1937 : Yoshiwara
1938 : Werther ou Le Roman de Werther
1939 : Sans lendemain ou La Duchesse de Tilsitt
1940 : De Mayerling à Sarajevo
1940 : L'École des femmes (inachevé)
1946 : Vendetta de Mel Ferrer, réalisation de quelques scènes
1947 : L'Exilé (The Exile)
1948 : Lettre d'une inconnue (Letter from an Unknown Woman)
1949 : Pris au piège (Caught)
1949 : Les Désemparés (The Reckless Moment)
1950 : La Ronde
1952 : Le Plaisir
1953 : Madame de...
1955 : Lola Montès

Gaëlle Bouché

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