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MUSIQUE ET CINEMA : le Lac des cygnes de 1931 à 2011


A l'occasion de la sortie de « Black Swan », le nouveau Darren Aronofsky, voici un article consacré au chef-d'œuvre musical dont le film s'inspire : Le Lac des cygnes de Tchaikovski.


Inutile de rappeler que le choix de la musique est primordial et peut fortement influer sur la qualité d'un film. Nos plus beaux souvenirs de cinéma sont souvent associés à des thèmes éternels et par conséquent indissociables des œuvres en question. Que serait Sergio Leone sans Ennio Morricone ? Tim Burton sans Danny Elfman ? Steven Spielberg sans John Williams ? Alfred Hitchcock sans Bernard Hermann ? Les exemples sont nombreux. Cependant il ne s'agit ici que de compositeurs de musique de film. Cet article a pour but de rappeler que certains cinéastes ont eu le génie de puiser dans le patrimoine classique pour trouver la musique qui se marierait le plus parfaitement avec leurs œuvres. Un maître surpasse tous les autres et incarne le modèle de cette demarche : Stanley Kubrick. « Orange mécanique », c'est Beethoven. « Barry Lyndon », c'est Haendel. « 2001, l'odyssée de l'espace », c'est Strauss.

Le cinéma a ce pouvoir de nous faire (re)découvrir des chef-d'œuvres de la musique dite classique qu'on ne saurait connaître autrement. Le Lac des cygnes a ce pouvoir de provoquer immédiatement une multitude d'images et d'émotions chez le spectateur. Tour à tour mystérieux et éclatant, subtil et terrifiant, ce ballet exerce une véritable fascination sur les cinéastes d'hier et d'aujourd'hui.

En dix films, voici un tour d'horizon du Lac des cygnes dans l'histoire du cinéma.

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Black Swan, de Daren Aronofsky (2011)
Nous pouvons affirmer que de tous les films cités dans cet article, « Black Swan » est incontestablement celui où la musique de Tchaikovski tient la place la plus centrale puisque l'histoire est l'élaboration du ballet jusqu'à la première au Lincoln Center à New-York. Dès le début du film, Vincent Cassel, qui joue le chorégraphe, raconte l'histoire du Lac des cygnes et explique que le rôle principal, qui sera attribué à l'une des danseuses de la troupe, est en fait constitué de deux roles : le cygne blanc, le White Swan, et le cygne noir, ce Black Swan que Natalie Portman tentera d'incarner.

Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois (2010)
Au moment de l'écriture de cet article viennent de tomber les nominations pour les Césars 2011, le film de Xavier Beauvois en obtenant onze. Malheureusement, Piotr Illitch Tchaikovski ne concourra pas pour le César de la meilleur musique écrite pour un film. Normal, me direz-vous, puisque l'écriture du Lac des cygnes date de 1875. Cette musique a pourtant un rôle primordial, puisqu'elle accompagne la scène la plus poignante du film, qui est son point culminant. Les moines, ayant décidé de rester dans le monastère malgré la menace imminente, se rassemblent pour leur dernier repas. L'un deux allume le poste de radio d'où émerge la célèbre mélodie de Tchaikovski. Autour d'un modeste repas, l'émotion se fait grandissante tandis que la musique gagne en intensité. Chaque seconde devient décisive car semble être la dernière. En silence, les moines échangent leurs derniers regards, leurs derniers sourires, leurs dernières larmes. Xavier Beauvois allie la puissance de la musique au destin tragique de ses protagonistes, signant là l'un des plus beaux moments de cinéma de 2010. Qu'il soit récompensé ou non le 25 février, le film a d’ores et déjà assuré sa postérité dans le cœur des cinéphiles, au même titre que sa musique. Les césars ne seront que les cerises sur le gâteau.

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Lord of War, d'Andrew Niccol (2006)
Le thème principal du Lac des cygnes intervient pendant la scène où Nicolas Cage tient en main une kalachnikov. En voix-off, il décrit les mérites et la facilité d'utilisation de l'arme (« It's so easy, even a child can use it, and they do »). Il manipule l'arme aisément, avec un sourire de satisfaction et le regard d'admiration que l'on porterait sur une peinture du Louvre. La musique appuie ce sentiment : l'arme est belle, elle devient une œuvre d'art, rendant la scène puissante et terrifiante.

Scoop, de Woody Allen (2006)
Le cinéaste de “Annie Hall” et “Match Point” procède toujours de la même manière pour ouvrir ses films. Un générique sobre sur fond noir, simplement accompagné d'un thème musical qui en général reviendra plusieurs fois dans le film (on remarquera que, pour ne pas se mettre en avant, la liste des acteurs est toujours par ordre alphabétique, ce qui le fait souvent apparaître en premier vu que son nom commence par A, le hasard fait bien les choses...). La musique est quasiment toujours une musique de patrimoine (classique, jazz, opéra, blues) et donne immédiatement l'esprit du film. Pour « Scoop », Woody Allen choisit le célèbre pas de quatre du ballet de Tchaikovski : la Danse des petits cygnes.

Les Poupées russes, de Cédric Klapisch (2005)
Rappel des faits : si nos compères de l'auberge espagnole se retrouvent cinq ans après, c'est pour célébrer le mariage de William (le frère de Wendy, « l'Anglaise ») avec Natacha, une jeune danseuse russe. Le temps d'un court flash-back, on comprend comment William est tombé amoureux de sa future promise : en la voyant danser en tutu le Lac des cygnes. La grâce de la danseuse alliée à la somptueuse musique de Tchaikovski ont eu un effet immediate : le coup de foudre. C'est donc « un peu » grâce à la musique du Lac des cygnes que William a rencontré Natacha, qu'ils ont décidé de se marier, qu'ils ont convié toute l'auberge espagnole à célébrer l'évènement, et que finalement Cédric Klapish a profité de ces retrouvailles pour tourner « Les poupées russes »... Merci Tchaikovski...

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Billy Elliot, de Stephen Daldry (2000)
Scène finale. On retrouve Billy devenu adulte et danseur étoile, tenant le premier rôle du ballet de Tchaikovski. Son père est dans la salle, alors que, quinze ans auparavant, il n'avait pas encouragé son fils dans cette voie. On voit Billy, de dos, avancer vers la scène, faire quelques gestes d'étirement, attendant patiemment le moment d'entrer sur scène. La musique progresse inexorablement, par un irrésistible crescendo, vers le point culminant de la pièce. Billy s'élance...

Dans la peau de John Malkovich, de Spike Jonze (1999)
Craig Schwartz (John Cusack) découvre un tunnel permettant de se retrouver dans le corps de John Malkovich. Il va utiliser la notoriété de cet acteur célèbre pour réaliser son rêve : devenir le plus grand marionnettiste du monde. Au sommet de la renommée, il triomphe en dirigeant sa marionnette au milieu des danseuses sur une prestigieuse scène new-yorkaise (90'). Le ballet en question est évidemment Le Lac des cygnes qui, certainement pour la première fois dans l'Histoire du cinéma, de la musique et de la danse, est dansé par un pantin en bois.

Jeux d'été, d'Ingmar Bergman (1950)
Marie est danseuse de ballet. Pendant une répétition du Lac des cygnes, elle reçoit un paquet dans lequel se trouve le journal de son amour de jeunesse, disparu depuis. Les souvenirs resurgissent et la plongent dans le passé, elle se remémore l'histoire de son premier amour. Dans ce film, la musique de Tchaikovski n'apparaît qu'au début du film, le temps d'une scène où Bergman filme les danseuses lors d'une répétition qui sera d'ailleurs interrompue par une panne d'électricité...


Les Chaussons rouges, de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)
Avec « Black Swan », c'est sûrement le film qui dépeint le mieux l'univers de la danse, et du ballet en particulier. Les Chaussons rouges, c'est le nom du ballet que va danser Victoria, et qui la rendra célèbre. Elle va tomber amoureuse du compositeur et chef d'orchestre, Julian, ce qui n'est pas du goût du directeur, le jaloux Lermontov. Elle va devoir faire un choix qui déterminera sa carrière et sa vie de manière decisive : la danse ou l'amour... Le film rejoint étroitement « Black Swan » sur plusieurs aspects. On retrouve la rivalité entre deux danseuses pour obtenir le premier rôle, rivalité certes plus marquée et plus centrale chez Aronofski. C'est justement sur la musique du Lac des cygnes que le directeur va choisir la danseuse qui tiendra le rôle principal des « Chaussons rouges ». Le dénouement des deux films est également très similaire, on ne peut qu'imaginer que ces « Chaussons rouges » ont été l’une des principales références pour Aronofski, bien que celui-ci ait su créer son univers propre.

Dracula, de Tod Browning (1931)
Le film s'ouvre sur le thème principal du Lac des cygnes. Rendons justice au chef-d'œuvre de Tchaikovski, en précisant qu'il s'agit ici d'une version méchamment charcutée pour répondre à la brièveté du générique. D'ailleurs, quel rapport entre ce ballet et Dracula, me direz-vous ? Aucun, si ce n'est l'atmosphère mystérieuse de la musique, qui peut éventuellement faire écho à celle du film. C'est d'ailleurs la seule raison. La preuve, pas moins de trois films sortis dans la foulée nous ressortent exactement cette même musique pour leur générique de début. Jugez les titres par vous meme : « Secret of the blue room » (1933), « The mummy » (1932, avec Boris Karloff), « Murders in the Rue Morgue » (1932)...

Alors en attendant de frissonner à l'écoute de l'œuvre de Tchaikovsky dans "Black Swan", en salle à partir du 9 février, n'hésitez pas à re-découvrir Le Lac des cygnes dans ces nombreux films clés !

Rémi Geoffroy

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