DOSSIER

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LES MEILLEURS FILMS DE 2015 SELON RAPHAËL JULLIEN


À l’heure de dresser un bilan des 76 films que j’ai vus en 2015, je ne peux m’empêcher de penser à la haine, la peur, l’ignorance et l’intolérance, ces quatre piliers responsables à la fois du terrorisme et des idées d’extrême droite. Plus que jamais, l’art en général et le cinéma en particulier doivent permettre de relever la tête et contribuer à raccommoder ce monde qui cloche.

La liberté comprend celle de ne pas aimer quelque chose, mais cette liberté-là n’a de sens qu’avec un minimum de tolérance. Un djihadiste ne se serait pas satisfait de mettre « 50 nuances de Grey » en tête de son flop : il aurait appelé à la décapitation des sadomasochistes pour une quelconque raison pseudo-religieuse – ceci dit, ça serait ironique de voir un djihadiste condamner un des films les plus misogynes de ces dernières années ! Un militant identitaire n’aurait même pas vu le navet intersidéral qu’est « Fast and Furious 7 » sous prétexte de préférence nationale, et aurait exigé que Jamel Debbouze soit interdit d’exercer le métier de réalisateur. Pourtant, détester un film ne devrait pas empêcher d’accepter (parfois difficilement, je l’avoue) que d’autres puissent l’aimer. Avec un minimum de bienveillance, je dirais d’ailleurs que mes flops (sauf le premier) sont des films qui partent d’une bonne intention mais sont simplement ratés, au même titre que ceux qui ont échappé à mon flop 5 d’un cheveu, comme le spin-off de « Madagascar », le délire écolo-kitsch des Wachowski, ou encore un film de cul prétentieux et égocentrique qui porte très mal son titre (« Love » de Gaspar Noé).

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Ouvrons les yeux et amusons-nous !
Mais arrêtons là ce bilan négatif, car le cinéma a été particulièrement brillant et divers en 2015 ! Comme un pied-de-nez aux obscurantismes, le septième art a cette faculté d’ouvrir des fenêtres sur tous les horizons, de nous faire vivre par procuration des expériences inédites, de nous faire rêver… Alors que la liberté d’expression a été piétinée en 2015, des films comme « Fou d’amour » ou « Bonté divine » s’en sont donné à coeur joie pour rire des religions. Malgré la permanence de la domination franco-américaine, le cinéma a continué à nous transporter au-delà des frontières : Estonie (« Crosswind »), Iran (« Taxi Téhéran », « Nous trois ou rien » [photo ci-contre]), Argentine (« Les Nouveaux Sauvages »), Québec (« Tu dors Nicole »), etc. Alors que certains veulent nous empêcher de profiter de la vie, le divertissement pur et dur s’est plutôt bien porté, tant parmi les blockbusters US (« Chappie », « Kingsman », « Seul sur Mars », « Spy »…), y compris parmi certaines franchises (« Mad Max Fury Road », « Jurassic World », « Star Wars 7 », « Shaun le Mouton »), que parmi les comédies françaises populaires (« Bis », « Papa ou maman », « Connasse »…). Et comme un symbole de résistance culturelle, plusieurs réalisateurs ont sonné la relève en proposant des premiers films prometteurs : « Crosswind », « Nous trois ou rien », « Mustang », « Lost River », « Ex Machina », « Vincent n’a pas d’écailles », « Un peu, beaucoup, aveuglément »…

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Apologie des rêves et de la volonté
Puisque les intégristes de tout poil ont la tête dure, différentes personnalités réelles, bien plus positives ou humanistes dans leur ténacité, ont inspiré de bons films : Martin Luther King (« Selma »), Stephen Hawking (« Une merveilleuse histoire du temps »), Alan Turing (« Imitation Game » [photo ci-contre]), Claude Lorius (« La Glace et le Ciel ») ou encore Philippe Petit, dans « The Walk », où Zemeckis ressuscite les Twin Towers avec poésie pour conjurer la funeste image que ces tours revêtent depuis 2001. Cette persévérance se retrouve aussi dans des personnages de fiction tout aussi admirables : les héroïnes de « Mustang » et « La Belle Saison » (toutes avides d’émancipation), l’astronaute de « Seul sur Mars » (robinsonnade spatiale et optimiste), les exilés de « Crosswind », « Nous trois ou rien » et « Fatima » (qui s’accrochent au moindre espoir), le solitaire au grand coeur de « Une belle fin », les jeunes de « Tu dors Nicole », « Microbe et Gasoil » et « La Face cachée de Margo » (prêts à toutes les folies pour continuer à rêver), les gamines de « Vice-Versa » et du « Petit Prince » (deux magnifiques rites initiatiques animés), ou même, malgré une situation plus subie, les laissés-pour-compte de « Much Loved », « La Loi du marché » ou « La Tête haute ».

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Gloire au plan-séquence !
L’année 2015 a également eu comme particularité de proposer de nombreuses utilisations, réelles ou détournées, d’une forme filmique particulière : le plan-séquence. Roy Andersson (« Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence ») perpétue sa marque de fabrique : de longs plans, généralement fixes, avec des effets de surcadrage qui contrebalancent la sobriété et fonctionnent comme des énigmes visuelles. Coutumier des longs plans, Jafar Panahi s’inscrit cette fois dans le cercle restreint des tentatives de films en un seul plan : « Taxi Téhéran », portrait de l’Iran contemporain, nargue la censure et joue avec les limites fiction/documentaire. Avec « Victoria » (photo ci-contre), Sebastian Schipper nous a lui aussi offert un unique plan, qui est une sorte de spirale infernale dans laquelle tombent les personnages, l’absence de montage symbolisant l’impossibilité à revenir en arrière. C’est un peu le même sens que revêt « Unfriended », de Leo Gabriadze, qui détourne la technique du plan-séquence en proposant le point de vue interne (et Internet) de l’héroïne, en temps réel, face à son écran d’ordinateur – une expérience hors-norme ancrée dans les dérives des réseaux sociaux (et peut-être le seul exemple de film qu’il est préférable de voir sur un ordinateur !). Enfin, deux films à l’esthétique choc, « Crosswind », de Martti Helde, et « Birdman », d’Alejandro González Iñárritu, réalisent l’impensable : proposer une continuité à l’image associée à une discontinuité temporelle ! Il faut le voir pour le croire…


Top Films
1. Crosswind : La Croisée des vents, de Martti Helde
2. Taxi Téhéran, de Jafar Panahi
3. Vice-Versa, de Pete Docter et Ronnie del Carmen
4. Birdman, de Alejandro Gonzalez Iñarritu
5. Nous trois ou rien, de Kheiron
6.
Mustang, de Deniz Gamze Ergüven
7. La Glace et le Ciel, de Luc Jacquet
8. La Belle saison, de Catherine Corsini
9. Le Petit Prince, de Mark Osbourne
10. The Walk : Rêver plus haut, de Robert Zemeckis

Flop Films
1. 50 nuances de Grey, de Sam Taylor-Johnson
2. Fast and Furious 7, de James Wan
3. Les Chevaliers du Zodiaque : La Légende du sanctuaire, de Keichi Sato
4. Pourquoi j’ai pas mangé mon père, de Jamel Debbouze
5. Robin des Bois : La Véritable Histoire, d’Anthony Marciano

Top Réalisateurs
1. Martti Helde (Crosswind : La Croisée des vents)
2. Jafar Panahi (Taxi Téhéran)
3. Alejandro González Iñárritu (Birdman)
4. Robert Zemeckis (The Walk : Rêver plus haut)
5. Stéphane Lafleur (Tu dors Nicole)

Top Actrices
1. Anaïs Demoustier (A trois on y va - Caprice)
2. Julianne Moore (Still Alice)
3. Laia Costa (Victoria)
4. Izïa Higelin (La Belle Saison)
5. Diane Rouxel (Fou d’amour)
Mention spéciale : les 5 jeunes actrices de « Mustang »

Top Acteurs
1. Eddie Redmayne (Une merveilleuse histoire du temps - Jupiter, le destin de l’univers)
2. Michael Keaton (Birdman)
3. John Turturro (Mia madre)
4. Eddie Marsan (Une belle fin)
5. Rod Paradot (La Tête haute)
Mention spéciale pour le grand écart de l’année : Johnny Depp (Charlie Mortdecai ; Strictly Criminal – deux films par ailleurs très moyens !)


Top Thématique : comment le cinéma peut permettre un regard différent ou plus complexe sur le monde
1. Pour comprendre que la recherche scientifique nécessite patience, rigueur et distance critique : La Glace et le Ciel (photo ci-contre) ; Une merveilleuse histoire du temps ; Imitation Game
2. Pour comprendre que l’amour, ça ne se décide pas en un claquement de doigt, et qu’il n’y a pas qu’une façon d’aimer : A trois on y va ; La Belle Saison ; Caprice ; Imitation Game ; Comme un avion
3. Pour comprendre qu’il est difficile de se défaire d’une emprise idéologique et d’avoir ensuite une seconde chance : Un Français
4. Pour comprendre que l’exil, forcé ou choisi, est une vie de courage et de sacrifices : Nous trois ou rien ; Fatima ; Crosswind : La Croisée des vents
5. Pour comprendre que la société est cruelle et hypocrite vis-à-vis de la prostitution : Much Loved

Révélation de l’année 2015
Vimala Pons, pour sa présence poétique, romantique et malicieuse (Vincent n’a pas d’écailles ; Comme un avion).

BONUS : Révélation régionale de l’année 2015
Parce qu’Abus de ciné est ancré à Lyon, petit cocorico régional pour une jeune entreprise du cru, Lumières Numériques, qui a brillamment assuré la postproduction de « La Glace et le Ciel » et continué le travail de restauration du patrimoine qu’elle a engagé depuis sa création en 2011 (dont un chef-d’oeuvre régional : le court métrage de Folimage « Le Moine et le Poisson »). Tout cela a valu à cette entreprise d’être sélectionnée au dernier Trophée César & Technique. De nouvelles pierres à l’histoire cinématographique de Lyon !

Raphaël Jullien

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