L’année 2013 nous avait emmenés tellement loin dans l’espace avec "Gravity", que pouvait apporter l’année 2014, sinon l’hypothèse de nouveaux horizons en matière d’immersion et de technologie ? La question se pose évidemment au vu du choc qu’avait constitué le chef-d’œuvre d’Alfonso Cuaron, et appelait du même coup une réponse à la fois claire et inattendue. Hélas, hormis une poignée de pépites bouillantes qui auront rempli leurs objectifs au-delà des espérances (dont certaines pour le coup assez inattendues), la déception aura prédominé tout au long d’une année 2014 qui, dans son ensemble, restera en fin de compte assez tiède.
On évoquait "Gravity" en matière de choc cinématographique, mais cela n’est pas à lire seulement sous l’angle de l’exploration spatiale. Certes, sur ce sujet précis, on aura été amplement gâtés avec "Interstellar" : même si le résultat n’aura pas manqué de diviser le public et d’appeler au clash des extrêmes, la dernière proposition graphique de Christopher Nolan en sera arrivée à tutoyer un sentiment d’immersion assez similaire au film de Cuaron, tout en changeant d’axe – l’exploration spatiale vécue sous l’angle du trip initiatique, digne du voyage d’Ulysse, au-delà du temps et de l’espace. Mais la révolution se sera surtout fait sentir dans des films dotés d’une vraie patine expérimentale, où l’approche d’un médium filmique inédit et sans mode d’emploi devenait gage d’audace et de stylisation. A ce titre, les derniers opus signés Jonathan Glazer ("Under the skin") et Jean-Luc Godard ("Adieu au langage") ont atteint des cimes impressionnantes, quitte à laisser le public interloqué par l’impact de la proposition de cinéma.
Grandiose aussi fut le talent de certains cinéastes à se servir du cinéma comme d’un moyen de glisser un caillou dans la chaussure de son spectateur, que ce soit en flirtant vers les sujets les plus tortueux ou en lorgnant vers des territoires gorgés de perversité. Là-dessus, pas de souci, Lars le cinglé a décroché la Palme avec son "Nymph()maniac", véritable pandémonium d’obscénité et d’humour trash qui aura choqué, remué, excité, horrifié, en tout cas sidéré autant par son fond nihiliste que par sa crudité graphique – pour avoir eu la chance de la visionner, je précise que la director’s cut de 5h30 en explose encore les limites ! Ode déjantée à tout ce qui définit l’être humain (même – et surtout – le pire), œuvre malade dans tous les sens du terme, film-somme définitif pour son cinéaste : on n’est toujours pas revenu intact d’un truc pareil.
Même bilan pour les derniers longs-métrages des deux David : Cronenberg avec "Maps to the Stars", Fincher avec "Gone Girl". D’un côté le tableau d’un Hollywood transformé en puits d’incestes en tous genres, de l’autre celui d’un couple disséqué en cocon pervers où s’activent la spirale du mensonge et du pouvoir. Deux chocs là encore majeurs, signés par des cinéastes qui, au-delà de la confirmation de leur talent hors du commun (avaient-ils encore quelque chose à prouver ?), n’ont de cesse que de relancer les dés de leur carrière comme de leur style à chaque nouvel opus. Du côté de la France, l’addition est assez salée au vu des nombreux désastres recensés (en majeure partie des comédies qui, à force de vider les salles, n’avaient de « populaire » que le nom). Quelques sacrés films signés Christophe Gans, Fabrice Du Welz, Luc Besson, Pascale Ferran, Kim Chapiron ou les frères Larrieu auront au moins su rétablir un minimum d’équilibre par leurs audaces respectives.
Reste l’émotion : entre la dernière merveille d’Isao Takahata ("Le Conte de la princesse Kaguya" - photo ci-contre) et celle de Spike Jonze ("Her"), les larmes auront coulé en cascade. C’est au sein de ce dernier film que se sera concrétisé le pari filmique le plus génial de l’année : oser une histoire d’amour entre un humain et la voix d’un système d’exploitation. Passer du virtuel à l’organique sans que le second se manifeste. Rendre l’invisible encore plus visible lorsque la caméra tente d’en capter la présence. Nous faire tomber amoureux d’une voix plus que d’une présence physique, d’autant plus que l’on connait la star hollywoodienne qui se cache derrière cette voix. Brouiller la différenciation entre utopie et dystopie pour ne garder en mémoire que la beauté infinie de cette romance improbable. Croire en l’impossible et en l’amour fou sans tomber comme souvent dans la niaiserie de bas étage. Prouver qu’un cinéphile passe son temps à regarder des fantômes sur un écran. Redonner tout son sens à la célèbre phrase d’André Bazin : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Oui, "Her" fut et restera un choc, un vrai. De l’émotion pure. Que demander de mieux ?
Top Films
1. Her, de Spike Jonze
2. Nymphomaniac Vol.2, de Lars von Trier
3. Nymphomaniac Vol.1, de Lars von Trier
4. Under the skin, de Jonathan Glazer
5. Le Conte de la princesse Kaguya, d’Isao Takahata
6. Gone Girl, de David Fincher
7. Interstellar, de Christopher Nolan
8. Maps to the Stars, de David Cronenberg
9. L’Amour est un crime parfait, d’Arnaud & Jean-Marie Larrieu
10. Adieu au langage, de Jean-Luc Godard
Flop Films
1. N’importe qui, de Raphaël Frydman
2. Métamorphoses, de Christophe Honoré
3. Mercuriales, de Virgil Vernier
4. Arrête ou je continue, de Sophie Fillières
5. Le Hobbit : la Bataille des cinq armées, de Peter Jackson
Top Actrices
1. Rosamund Pike (Gone Girl) photo ci-contre
2. Scarlett Johansson (Her / Under the skin / Lucy)
3. Marion Cotillard (Deux jours, une nuit)
4. Anne Dorval (Mommy)
5. Lolita Chammah (Gaby Baby Doll)
Top Acteurs
1. Joaquin Phoenix (Her)
2. Matthew McConaughey (Interstellar / Dallas Buyers Club)
3. Jake Gyllenhaal (Night Call)
4. J.K. Simmons (Whiplash)
5. Shia LaBeouf (Nymphomaniac / Charlie Countryman / Fury)
Top Réalisateurs
1. David Fincher (Gone Girl)
2. Xavier Dolan (Mommy)
3. Gareth Evans (The Raid 2)
4. Myroslav Slaboshpytskiy (The Tribe)
5. Arnaud & Jean-Marie Larrieu (L’Amour est un crime parfait)
Top Thème : Les cinq meilleurs premiers films de 2014
1. The Tribe, de Myroslav Slaboshpytskiy (photo ci-contre)
2. Minuscule, de Thomas Szabo & Hélène Giraud
3. Les Bruits de Recife, de Kleber Mendonça Filho
4. Tout est faux, de Jean-Marie Villeneuve
5. Lou ! Journal infime, de Julien Neel
Révélation de l’année
Myroslav Slaboshpytskiy (réalisateur de "The Tribe")
Guillaume Gas
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais