Entre les murs (d’une salle de cinéma)
Dans le très beau film de Laurent Cantet, « Entre les murs », Palme d’Or au dernier festival de Cannes, il y a un plan fondamental qui a été peu commenté. Le contexte : François (François Bégaudeau) reçoit, à l’occasion d’une réunion parents-professeurs, la mère et le grand frère d’un élève de sa classe qui éprouve quelques difficultés d’ordre social, Souleymane. L’image : désireux de débattre du « problème » Souleymane, François s’adresse à sa mère pour tenter de mieux comprendre leur vie à la maison et ainsi esquisser un début de réponse adaptée ; mais lorsque, soudain, la maman s’adresse à lui dans sa langue d’origine, traduite par le grand frère, la caméra opère un rapide recadrage sur le visage figé de François qui saisit, l’espace d’une seconde, qu’il ne pourra jamais parler directement avec cette mère. L’idée : dans ce plan très bref, réside l’essentiel du message du film, à savoir que l’inadéquation du dialogue entre professeurs et élèves s’explique par l’impossible communicabilité entre ces mêmes professeurs et le monde parental. Pas d’échanges, pas de solutions. Un seul plan suffit pour trahir le doute et ériger des barrières linguistiques, sociales, culturelles désormais infranchissables – c’est le commencement d’une descente aux enfers scolaire pour Souleymane. Un seul plan pour faire de « Entre les murs », non pas tant un film politique, malgré cette récupération indécente et idéologiquement douteuse qu’en ont faite les partis politiques de gauche comme de droite, mais un film sur le politique – et sur l’échec de celui-ci à communiquer avec la population.
Une image fertile plutôt qu’un dialogue stérile : voilà qui résume bien l’année 2008. Les longues plages de silence de la première partie de « Wall-E ». Les plans fixes des soldats américains en Irak illustrés par la « Sarabande » d’Haendel dans « Redacted ». Le minimalisme linguistique de Batman face au débit effrayant du Joker dans « The Dark Knight ». Les vingt premières minutes, muettes, du chercheur de pétrole Daniel Plainview dans « There Will Be Blood ». La quête de la nature et de ses silences primitifs dans « Into the Wild ». Les battements de cœur qui ouvrent « Two Lovers ». L’assourdissant silence qui clôt « Cloverfield » après un émouvant « Je t’aime » partagé par les deux héros. C’est qu’en 2008, les personnages ne communiquent plus entre eux ; et pire, ils n’arrivent plus à communiquer avec le public. Les plus belles séquences de l’année étaient donc (en partie) muettes.
Sauf le politique : lui s’est fait bavard et omniprésent, un peu à l’image de notre chef d’État actuel, prolixe en paroles autant qu’en actes. « La guerre selon Charlie Wilson », la fiction politique la plus réussie de l’année avec « Redacted », dans un autre genre, est un film qui s’oppose parfaitement au silence : par la saturation du dialogue et des mouvements. Tom Hanks y incarne un Wilson affable, amusant, ironique et incisif – un homme politique comme les États-Unis n’en ont plus vu depuis longtemps. Bavard aussi dans son genre, George W. Bush s’en sort moins bien que l’ancien député pro-afghan : Oliver Stone le croque, dans « W – l’improbable président », en idéaliste un peu gauche, déblatérant souvent pour ne rien dire, rêvant de laisser sa place dans le Bureau Ovale pour un poste d’entraîneur de base-ball. La politique est faite de mots plus que d’images – mais change-t-elle le monde pour autant ? Il semble, à regarder « Mensonges d’État », que les grandes catégories humaines resteront pour longtemps ce qu’elles sont : l’agent joué par Di Caprio reste vivre au Moyen Orient et le lourdaud de la CIA incarné par Russell Crowe garde ses préjugés négatifs sur cette région. Rien de nouveau sous le soleil de 2008 – comme on dit. En espérant que 2009 réaffirme le pouvoir de la communication entre les hommes – et dans les salles de cinéma.
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