Un cinéaste virtuose, adepte de la satire politique et de l’ultra-violence cinématographique ; un personnage mi-homme mi-machine tout droit sorti d’un comics book ; un acteur méconnu dans le rôle de sa vie ; et une furieuse envie de détruire tout ce qu’est l’Amérique des années 80. Voilà le menu d’un film cultissime, symbole inoxydable d’une époque désormais révolue. Alors que le remake du Brésilien José Padhila sort sur les écrans, un retour s’imposait sur "RoboCop", le premier, le vrai. L’original.
Paul Verhoeven est à tournant de sa carrière, lorsqu’il reçoit le scénario de "RoboCop". Sa carrière hollandaise, radiographie sans concession de la société hollandaise, est dans une impasse, suite à la création d’un très officiel « comité national anti-"Spetters" » et la colère des critiques de cinéma face à un "Quatrième homme" réalisé pour se moquer de leur habitude de voir du symbole partout. Malgré les succès incroyables de ses six premiers films, celui que l’on ne surnomme pas encore « Le Hollandais Violent » se voit dans l’obligation de quitter son pays natal. Il faut dire que Verhoeven, provocateur radical et virtuose, ne fait rien pour ne pas déranger ses concitoyens. En rupture de ban, le cinéaste se retrouve ainsi à la tête de sa première production « internationale » : un tournage cauchemardesque qui aboutira à un authentique chef-d’œuvre du cinéma médiéval, le foudroyant "La Chair et le sang". Le divorce avec le Vieux Continent est consommé, et Paul Verhoeven peut désormais se tourner vers Hollywood pour mieux, peut-être, le torpiller de l’intérieur.
LA CHAIR ET L’ACIER
L’anecdote est connue : lorsqu’il reçoit le script de "RoboCop", Verhoeven le jette à la poubelle. Il faudra l’intervention de sa femme, qui y perçoit quelques thématiques propres à intéresser le cinéaste, pour qu’il accepte de s’y mettre. Après avoir été un temps envisagé à la réalisation du "Retour du Jedi", le Hollandais violent se plonge donc dans l’univers d’anticipation créé par les duettistes Michael Miner et Edward Neumeier, et finit par y trouver des correspondances : un (super-)héros mi-homme mi-machine fabriqué pour servir les intérêts d’une corporation marchande d’armes dans le futur (pas si lointain) d’une Amérique gangrénée par le fascisme et la corruption ! Une simplicité apparente de scénario que le cinéaste va investir de sa rage et de son goût prononcé pour l’ultra-violence et l’envie globale de ruer dans les brancards d’une Amérique reaganienne qui le débecte.
Entouré d’une équipe de fous furieux motivés par le désir de livrer le meilleur film qui soit (dont le chef opérateur Jost Vacano, déjà à l’œuvre sur certains de ses chefs-d’œuvre hollandais), Paul Verhoeven fait de son héros le symbole dégénéré d’une société pourrie jusqu’à l’os. De la mort « christique » de Murphy à la mort du méchant Clarence Boddicker, en passant par la démonstration de l’ED 209 ou les nombreuses interventions policières de RoboCop, Verhoeven multiplie les scènes violentes, à la limite du gore, grandement aidé par les effets spéciaux du déjanté Rob Bottin, comme pour mieux faire ressortir la virulence de son propos, le tout mis en scène à la manière d’un comics book satyrique (on peut penser au radical Judge Dredd) et politiquement très chargé.
DIRECTIVES PRIORITAIRES
Caricaturaux, ses personnages sont des hommes d’affaire sans scrupule, des voyous psychopathes et des savants fous de la cybernétique ; le film est entrecoupé de faux journaux montrant l’état déplorable du monde décrit ; et les « directives prioritaires » du robot-flic sont celles d’une police fasciste et toute puissante. Il n’y a finalement que le héros, et sa partenaire, pour échapper au traitement grossier du cinéaste.
En humanisant à l’extrême son protagoniste, notamment lorsque Murphy/RoboCop se rend dans son ancien domicile ou découvre sa nouvelle apparence, et en lui adjoignant une partenaire grande-gueule et attachante (formidable Nancy Allen), Verhoeven donne une émotion inattendue à son délire de sale gosse régressif. Et c’est sans doute là l’idée de génie du film, de donner le rôle principal à un Peter Weller encore peu connu, mais que le jeu tout en retenu propulse du jour au lendemain en star planétaire. Sa manière de se mouvoir tel un robot, et son visage au regard si expressif et ses punchlines incendiaires (« Dead or alive, you’re coming with me! »), sont pour beaucoup dans l’amour que le public porte au film. Ça, et la partition flamboyante du compositeur Basil Poledouris ("La Chair et le sang", "Conan le barbare"), alors en pleine possession de ses moyens.
Forcément, le film est un succès immédiat, et ouvre grand les portes d’Hollywood au Hollandais violent. "Total Recall" et "Basic Instinct" assoiront sa réputation de roi sulfureux du box-office, avant qu’à nouveau, l’incompréhension ne vienne mettre des bâtons dans les roues de celui qui souhaite depuis bien longtemps réaliser un film « réaliste » sur la vie de Jésus Christ : les échecs de "Showgirls" et "Starship Troopers", brûlots incandescents de l’Amérique de la fin des années 90, vont provoquer l’exil, à nouveau, de Paul Verhoeven. Qui est depuis revenu dans ses Pays-Bas d’origine. Le personnage de RoboCop est quant à lui devenu culte : deux séquelles à la qualité déclinante, une série-télévisée indigne et divers jeux-vidéos et comics book, jusqu’au remake aujourd’hui dans nos salles. Un crime de lèse-majesté, pour un résultat paraît-il loin d’être honteux. Mais qu’importe, finalement. Car "RoboCop", le seul, le vrai, n’en finira jamais d’être ce sublime et frondeur blockbuster dégénéré, comme le cinéma américain n’en fera sans doute plus jamais.
Aller plus loin :Frédéric Wullschleger
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