DOSSIER

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IL ETAIT UNE FOIS... Batman le défi, de Tim Burton


Il est de coutume, aujourd’hui, d’affirmer que Guillermo Del Toro est LE cinéaste des freaks, grand amoureux des monstres devant l'éternel. Et ce n'est pas faux. Mais ce serait réducteur. Et oublier qu'il y a 17 ans, un homme aux cheveux hirsutes balançait à la face du monde une ode à la monstruosité, un poème à l'anormalité, que dis-je, une péninsule d'amour branque et glauque dans un monde bien trop normal et formalisé.



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La monstrueuse parade

Tim Burton n'était pas un inconnu lorsqu'il réalisa son plus beau film. Des débuts en forme de manifeste (« Pee Wee's Big Adventures » et son humour loufoque, « Beetlejuice » et sa vision farfelue de la mort), un blockbuster et un film d'auteur comme palimpseste psychologique (« Batman » et ses héros pas "normaux", « Edward aux mains d'argent » et son romantisme gothique), et l'homme nous jetait au visage ce monument d'animalité assumée et d'humanisme contrarié qu’est « Batman, le défi ». Qu'on ne s'y méprenne pas : le Batman n'est pas le héros de ce film hors-norme. Il n'est qu'un personnage parmi les autres, freak parmi les freaks, dont la dualité homme-animal peine à se matérialiser autrement que dans un costume (f)rigide et monolithique. Une anomalie psycho-sociétale dont l'existence n'est assurée que par ses semblables (sublime scène de début où, tel un automate, il attend le bat-signal pour se mettre en marche), fussent-ils des monstres véritables (le Pingouin) ou fantasmés (Catwoman).

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Détective aguerri et figure de la justice, le Batman n'est, pour Burton, qu'un schizophrène en quête de reconnaissance, trouvant chez ses ennemis un semblant de compréhension quant à sa propre identité.
Si le Joker faisait déjà figure - anticipant le « Dark Knight » de Nolan - de sociopathe anarchique dans un premier volet ambitieux (souvent) mais raté (parfois), la faute à un Jack Nicholson cabotin et hors-sujet, le Pingouin, Catwoman et Max Shrek font figures ici d'images mentales du devenir monstre d'un Batman en pleine perdition psychologique. Il n'est dès lors pas anodin que lui et Selina soient les seuls non-masqués à un bal masqué, après que le justicier ait fait preuve de bêtise et de naïveté (il sourit !) lors de sa précédente incartade avec la Femme-Chat. Drag-queen embarrassé chez Joel Schumacher, vigilante furieux chez Christopher Nolan, Batman n'est chez Burton que ce marginal benêt qui s'habille en cuir et frappe les méchants, laissant dès lors la place à un trio de vilains comme le cinéma en a vu peu dans sa courte histoire. Et quels vilains !

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L’homme, cet animal

Homme-bête comme le cinéma fantastique aime à en créer à intervalle régulier, le Pingouin joue admirablement de cette dualité chère à Burton, administrant les faux-semblants comme un apôtre et assumant, in fine, sa part animale comme seule véritable condition de son existence. Homme d'affaires vénal et meurtrier, Max Shrek symbolise, lui, tout ce que le cinéaste déteste le plus chez l'humain, monument de misogynie, de veulerie, de machisme et de démagogie. Un homme plus monstrueux que les monstres eux-mêmes, préfigurant avec plus d'une décennie d'avance (et un humour noir qui n'appartient qu'à Burton) les monstres humains terrifiants de « l'Echine du diable » et du « Labyrinthe de Pan » de… Guillermo Del Toro !

Et Catwoman dans tout ça ? Métaphore ultra-sexuée d'un féminisme hardcore, visage double d'un Batman à la ramasse, performance d'actrice d'une intensité sans faille, fantasme sexuel de toute une génération d’adolescents... Elle est tout ça à la fois, figure héroïque agressive, vigilante féminine de cuir vêtue (le Spectre Soyeux des « Watchmen » peut se rhabiller) et expression assumée de tout ce que le héros de Gotham ne pourra jamais être.


Tragédie gothique

Imaginez, dès lors, ces personnages plongés au cœur d'une intrigue dantesque où se côtoient la politique, l'action, le fantasme et la folie, alors que retentit la musique flamboyante d'un Danny Elfman qui n'avait jamais (et ne fera sûrement jamais !) mieux, dans un maelström d'images burtoniennes où se croisent les influences de l'expressionnisme allemand (l'architecture de Gotham, le maquillage du Pingouin, Max Schrek !), du gothique hammerien (les jeux d'ombres du Pingouin et de Catwoman) et du comic-book radical (Frank Miller, Alan Moore et Dave McKean en une seule et même conjoncture), et vous n'aurez qu'une vague idée de la puissance phénoménale de ce film-monstre qu'est "Batman, le défi".

Et s'il est arrivé au cinéaste de faire presque aussi bien par la suite (si l'on excepte l'exécrable « Big Fish », film très très - trop ? - personnel complètement foiré), jamais Burton n'aura atteint un tel niveau d'excellence. Mais peut-il encore y prétendre ? Là, c’est un tout autre débat…

Frédéric Wullschleger

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