DOSSIER

Affiche

CESARS 2012 : résultats et commentaires


PALMARÈS

Meilleur Film
The Artist, de Michel Hazanavicius

Meilleur réalisateur
Michel Hazanavicius (The Artist)

Meilleur Acteur
Omar Sy (Intouchables)

Meilleure Actrice
Bérénice Bejo (The Artist)

Meilleur Acteur dans une Second Rôle
Michel Blanc (L'Exercice de l'état)

Meilleure Actrice dans un Second Rôle
Carmen Maura (Les Femmes du sixième étage)

Meilleur Scénario Original
L'Exercice de l'état, de Pierre Schoeller

Meilleure Adaptation
Carnage, de Roman Polanski

Meilleur Film d'Animation
Le Chat du rabbin, de Joann Sfar

Meilleur Film Etranger
Une Séparation, d'Asghar Farhadi

Meilleur Premier Film
Le Cochon de Gaza, de Sylvain Estibal

Meilleur Film Documentaire
Tous au Larzac, de Christian Rouaud

Meilleur Espoir Féminin
Clotilde Hesme (Angèle et Tony)
Naidra Ayadi (Polisse)

Meilleur Espoir Masculin
Grégory Gadebois (Angèle et Tony)

Meilleur Montage
Polisse, de Maïwenn

Meilleur Photographie
The Artist, de Michel Hazanavicius

Meilleur Son
L'Exercice de l'état, de Pierre Schoeller

Meilleure Musique de Film
The Artist, de Michel Hazanavicius

Meilleurs costumes
L’Apollonide, souvenirs de la maison close, de Bertrand Bonello

Meilleurs décors
The Artist, de Michel Hazanavicius

Meilleur court-métrage
L'Accordeur, d'Olivier Treinery


Chaque année, un rédacteur d'Abus de ciné donne son avis sur le déroulement de la soirée et le palmarès des Césars...

DUJARDIN OUT, L'ACADEMIE AUSSI

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De la liste des nominés, un trio de tête se détachait largement : « Intouchables », « Polisse » et « The Artist ». Parmi eux, quelques victoires semblaient acquises, telles celles de Michel Hazanavicius ou Jean Dujardin. Mais le succès en salles de « Polisse » et « Intouchables » laissent augurer une fragmentation des récompenses. Malgré les apparences, en aucun cas le palmarès d'hier n'était prévisible. D'une part « Polisse » aurait pu y avoir une place plus importante, notamment grâce à sa pléiade d'acteurs magnifiques. Par exemple, Marina Foïs était franchement attendue pour le César de la meilleure actrice, alors que Bérénice Béjo ne paraissait pas incontournable. Le prix du meilleur montage pour « Polisse » est difficilement contestable, les 2h10 filant sans que l'on voit le temps passer, et alternant avec rythme les éclats de rire et moments plus douloureux. Peut-être l'amourette entre les personnages de Maïwenn et Joey Starr, qui n'apporte pas grand chose, aurait pu être évincée. Ayons également l'honnêteté de reconnaître que « La Guerre est déclarée » et « Intouchables » avançaient aussi tambours battants.

Les Césars du meilleur décor et de la meilleure photographie sont allés sans grande surprise cette fois à « The Artist », seule vraie proposition de cinéma pur et dur, entre « Intouchables », filmé comme une série télé, et « Polisse », tourné comme un documentaire. Il est dommage que Pierre Aïm, chef opérateur sous-estimé, ait été à l'œuvre sur « Polisse », car le technicien a un réel talent (il a éclairé « La Haine »), et « Polisse » ne lui permettait pas de rivaliser avec la lumière en noir et blanc de Guillaume Schiffman sur « The Artist ».

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Par ailleurs, il aurait été mal venu que Michel Hazanavicius reparte sans la statuette du meilleur réalisateur. C’était la moindre des choses considérant sa nomination aux Oscars, historique, au même titre que sa victoire aux DGA Awards (syndicat des réalisateurs américains qui l'a préféré à Scorsese et Fincher...). Du côté français, la concurrence était bien maigre. Même si Maïwen livre un film très fort avec « Polisse », son traitement cinématographique est des plus classiques, et sans ambition de cinéma. Seule sa direction d'acteur importait. Il en est un peu de même pour Toledano et Nakache. Leur film est propre, mais repose sur la direction d'acteurs, et non sur des questions de découpage. A l'inverse, Hazanavicius fait ressurgir le passé, une certaine époque, et parvient à être un bon réalisateur au sens large, tant sur les plans techniques que de la direction d'acteurs. Il fait même mieux, il nous plonge avec succès dans un monde hermétique, celui du noir et blanc quasiment muet, et réalise une vraie gageure. A une époque où le dialogue est devenu indispensable, Hazanavicius montre qu'une histoire passe d'abord par les images, et il réussit son pari en nous contant cette histoire avec des outils uniquement visuels (aidés par la musique il est vrai). A cet égard, le début du film est une vraie merveille.

Pourtant, et cela a peu été dit : son film est trop long, et le scénario trop mince. Le film pêche en effet bigrement de propos et de rythme, dans son troisième tiers. Quand le personnage de Dujardin est en déclin, Hazanavicus semble ne plus rien avoir à dire, si ce n'est que son héros déprime, qu'il reste au lit, et qu'il boit. Hazanavicus s'attache à une période réellement clé du cinéma mondial, et ne trouve pas d'autre nœud dramatique pour pimenter son histoire. C'est bien dommage. Les trois dernières minutes redressent le tir, mais Hazanavicius, qui s'est lui-même crédité en tant que monteur, a clairement pêché par orgueil en conservant des plans trop longs et des saynètes qui n'apportent rien à l'histoire. Son film fait 1h40 quand ceux de l'époque faisaient 1h20. Sa durée et son propos son donc trop distillés et le film perd en qualité. Félicitons-nous que Hazanavicus n'ait pas été récompensé pour le scénario et le montage. Le César du meilleur film vient malgré tout récompenser un film assez réussi, un véritable OVNI peut-être légèrement en-dessous de « Polisse », mais qui constitue un pari pour un réalisateur et son producteur.

Dujardin est la blague de la soirée. Ou plutôt la mauvaise blague. Ses précédentes récompenses sont connues de tous : prix d'interprétation à Cannes, Golden Globes, Bafta, et nomination aux Oscar (confirmée deux jour plus tard). Si notre cher Jean fut récompensé outre Atlantique, c’est dans son propre foyer qu’il fut snobé. Comment un acteur français autant adulé à l’étranger peut-il se faire détrôner par les siens, par ceux qui l'ont vu naître, qui devraient être béats devant ses exploits et n'avoir de cesse de l'encourager ? Ils ont sans doute pensé que Dujardin avait raflé suffisamment de lauriers. Admettons qu’il puisse ne pas être le gagnant évident. Admettons que notre champion national, choisi pour affronter des monstres du cinéma américain tels que Georges Clooney ou Brad Pitt (j'ai bien dit Clooney et Pitt), ait des adversaires meilleurs que lui, chez lui... Et il est vrai que la liste des co-nommés était franchement glorieuse.

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Philippe Torreton avait fait une performance extraordinaire dans « Présumé Coupable », passé à la trappe. Olivier Gourmet et Sami Bouajila ne semblaient pas démériter. Débarque Omar Sy, fort du succès populaire incontestable des « Intouchables ». Son énergie est pour beaucoup dans la réussite du film, dans la bonne humeur qu'il dégage. Néanmoins, si l'on en vient à juger sa prestation dans le film, il est impossible de ne pas aussi prendre en compte celle de François Cluzet, pour le coup beaucoup plus fine, car immobilisé. Là où Omar Sy est récompensé parce qu'il dégage beaucoup de chaleur, François Cluzet est laissé dans l'ombre, cloué à son seul regard. Récompenser Omar Sy, c'est ainsi dénigrer François Cluzet en l'oubliant purement et simplement, alors que le film marche précisément grâce à leur collaboration. La récompense est cependant politique. Elle permet en effet de montrer que, pour une fois, une comédie n'est pas rejetée par les Césars, ce qui est pour le compte une vraie révolution. Elle permet aussi à Omar Sy d'être le premier noir à obtenir une statuette. Les Etat-Unis ont passé ce cap il y a fort longtemps, nous le passons à l'instant. Omar Sy est un bon acteur, un homme à l'air fort sympathique, qui a contribué au succès humain qu'est « Intouchables ». Son discours a été à la fois convenu (« je remercie ma maman ») et touchant (sa dernière phrase : « j'ai fais comme si je m'en foutais alors que je suis super content »). Il n'est donc en aucun cas question de dénigrer ni l'homme ni l'acteur. Mais césariser de si bonne heure Omar Sy dans le contexte actuel représente plus une blague qu'autre chose, une gifle assez violente vis-à-vis de Dujardin lui-même, mais encore plus un vrai dédain, pour ne pas dire un vrai mépris des techniciens français pour leurs collègues étrangers.

Le César du scénario aurait été non seulement plus probant, mais simplement justifié. Il est allé à « L'Exercice de l'état », mais avec « Intouchables », il aurait récompensé les deux auteurs qui sont réellement à l'origine de l'entreprise, et aurait montré que ce qui est devenu un grand succès populaire, était avant tout un film de potes d'après une belle histoire vraie. Cela aurait également montré que « Intouchables », n'en déplaise à son succès public et à son casting de stars, est avant tout un film d'auteur, et que le succès d'un film ne devrait pas le ranger automatiquement, comme c'est le cas, dans la catégorie de ces machines commerciales, catégorie qui n'a aujourd'hui plus le moindre sens.

Ivan Chaslot

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