DOSSIER

BIENNALE 2005 - Retour sur la biennale - partie 2


Avec Happy New Year : Memorial Project Vietnam II (2003), Jun Nguyen Hatsushiba détournait les traditions processionnaires asiatiques pour interroger l'histoire avec un parti pris esthétique par instant à la limite de l'abstraction. Le message était loin d'être clair mais au moins c'était agréable à voir! Autre expérience visuellement frappante sans que la signification ne le soit, Magic Travel Take Away (2005), de Fabien Verschaere, déroulait une sorte de travelling patchwork animé en noir et blanc, sur fond de musique franchement tripante ("Once upon no time" de Liquid Architecture). Animation aussi pour My Birds... trash... the Future (2004), de Paul Chan, qui semblait s'inscrire dans notre époque de paranoïa générale – comme quoi, malgré le retour en arrière global de la Biennale, certains artistes ont su rappeler au visiteur ce que le mot contemporain impliquait! Ce dessin animé au style enfantin (genre South Park version "flash"!) expérimentait à la fois le temps, la société contemporaine et l'espace en offrant deux points de vue différents grâce un système de double projection sur un écran double face. Le contraste entre le style et l'atmosphère pesante ne pouvait laisser indifférent.

Pierre Huyghe avait quant à lui décidé d'utiliser des marionnettes pour son This is not a time for dreaming (2004), hommage à l'architecte Le Corbusier, utilisant avec talent une captivante mise en abîme (qui rappelait en certains points Dans la peau de John Malkovitch !). A l'opposé, deux œuvres avaient délibérément décidé de partir à la rencontre du réel. C'était tout d'abord le cas de Valérie Mrejen avec Dieu (2005), série de témoignages d'anciens Juifs quasi extrémistes devenus presque agnostiques! Pas de questions, pas vraiment de réponses non plus, mais un imbroglio d'anecdotes parfois perturbantes, toujours étonnantes. Autre style de rencontre dans Où et quand? (2005), où Sophie Calle et Fabio Balducci prenaient un parti pris de départ assez ironique de laisser une cartomancienne guider leur quête socio-artistique indéterminée! Cela donnait des situations baroques qui semblaient conférer une force particulière à l'absurdité de l'espace-temps.

Enfin, comme Jonas Mekas et Wim Delvoye, trois autres artistes avaient utilisé la technique de la multi-projection. Kader Attia accueillait les visiteurs dans le hall de la Sucrière avec Hallucinogen (2005), une dizaine de petits projecteurs vidéo diffusant l'image d'un œil sur les facettes d'une immense boule à facette en mouvement. Il en résultait une multitude d'yeux s'ouvrant et se fermant à l'infini sur la paroi circulaire du hall. Au travers de 24h. Flower (Cirsium acaule) Aug 5/6 (2005), Henrik Håkansson nous offrait la vie quotidienne d'une fleur, chacun des 24 écrans plasma diffusant une heure différente de la journée (en infrarouge pour les heures nocturnes), créant une fascinante condensation du temps. Mais le plus grandiose de tous fut peut-être le régional de l'étape, le Lyonnais Melik Ohanian. Son étonnant Seven minutes before (2004) cumulait 7 projections sur un même mur, 7 quasi plans séquences, synchronisés, aux univers poétiques d'une extraordinaire diversité: slammeur, joueur de kamantcha, rapace, pyrotechnie, sculptures, paysages de montagne, installations lumière, maquettes… Tant d'éléments que l'on pouvait (ou croyait?) parfois voir passer d'un écran à un autre, les plans étant intégrés les uns aux autres avec une harmonie prodigieuse et reliés par le son de manière déconcertante – de quel plan provient tel son? La virtuosité atteignait son comble lorsque les 7 caméras se rejoignaient pour filmer une seule et même séquence explosive! Malgré une introduction qui laissait perplexe, ce véritable labyrinthe visuelle et sonore fonctionnait comme un séisme, chaque écran pouvant être tour à tour un épicentre qui contaminait les autres. Le tout pendant… et non pas 7 minutes mais 21! Tiens, ça fait pile 7x3, ce qui conférerait probablement une autre façon d'appréhender ce magnifique exemple d'art total. En tout cas cette œuvre était en n'en pas douter celle qui avait su le mieux explorer l'espace-temps parmi toutes les œuvres filmiques présentées cette année.

Mis à part ce septuple film de Melik Ohanian, ce ne sont finalement pas les œuvres filmiques qui ont le plus enrichi le thème 2005 malgré le potentiel intrinsèque du média. Ni les œuvres sculpturales et picturales trop statiques évidemment! Finalement la vraie réussite provint surtout des oeuvres plus interactives, basées sur l'expérience sensorielle, celles-là même qui laissaient au visiteur la liberté de cette fameuse durée. C'était le cas déjà cité de la Dream House (salle de repos particulière puisque baignée d'une musique électronique minimaliste qui énervaient vite certains mais finissaient par en bercer d'autres!) et d'une autre œuvre héritée des 60's (qu'on n'aille donc pas dire qu'on a refusé catégoriquement toute présence du passé!), celle de Terry Riley, Time Lag Accumulator II (1967), qui donnait à chacun le loisir de parcourir les mini pièces constituant son installation octogonale en prononçant diverses phrases… et d'entendre au fur à mesure la diffusion différée de notre propre voix qui semblait nous échapper et s'enfuir d'une salle à une autre! Troublant et amusant à la fois. Plus récent mais trouvant un écho dans l'iconographie des 70's, le Quiet Club #13 OUT (Un saut dans le temps) de Brian Eno (2005) était moins interactif puisqu'il nous était malheureusement interdit de s'en approcher (à cause d'idiots qui avaient détraqué le système pendant les premières semaines en y tirant dessus!) mais l'accumulation sommaire de mobiles, de lumière et de musique créait une douce atmosphère qui pouvait nous faire oublier la notion de temps.

Pour bien intégrer la dimension temporelle de l'œuvre de Daniel Buren, Le Temps d'une Œuvre (2005), il fallait pouvoir revenir plusieurs fois errer parmi ces panneaux transparents de couleurs et de bandes blanches typiques de l'artiste. En effet, la notion de durée prenait un caractère éphémère puisque chaque jour voyait un panneau disparaître, la salle devenant de plus en plus vide et la lumière de plus en plus blanche. Pour ce qui est de Martin Creed, son Half the Air in a Given Space (2004) pouvait être qualifié d'attraction plutôt que d'œuvre d'art par ses détracteurs mais il faut reconnaître que son ouvrage, certes basé plus sur l'espace que sur le temps, n'était pas dépourvu d'intérêt expérimental – une pièce à moitié remplie de ballons de baudruche roses où les visiteurs se frayaient un chemin dans un champ d'électricité statique! Dans un style relativement proche, il convient de souligner l'étonnant LEE 121! de Ann-Veronica Janssens: il s'agissait d'une pièce aux murs blancs, en forme de L approximatif, remplie d'un brouillard artificiel et d'une lumière verdâtre, le tout empêchant chacun de trouver ses repères habituels. L'expérience de la durée prenait son sens dans cette recherche de nouveaux repères, chacun devenant brutalement quasi aveugle. Épreuve similaire enfin avec The Wait (1989), de James Turrell, salle de projection où le spectateur nécessitait plus de 10 minutes de patience pour s'habituer à la pénombre afin d'apercevoir un faible halo lumineux sur l'écran!

En définitive, comme à chaque fois dans ce genre d'événement, chacun faisait son propre tri en fonction de ses goûts, de ses connaissances, de son histoire personnelle, de ses affinités… Avec souvent cette sempiternelle question: mais quel rapport avec le thème de la Biennale?! On en sort en partie perplexe, néanmoins on arrive toujours à garder en tête des œuvres marquantes et c'est sans doute la raison d'un impossible échec total! Allez, avouons-le, même si on a préféré celle de 2003, on a déjà un brin de nostalgie envers cette Biennale 2005! Vivement 2007…

Raphaël Jullien

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