DOSSIER

BIENNALE 2005 - Retour sur la biennale - partie 1


L'ensemble de cette Biennale déçut tout d'abord par son retour en arrière (essentiellement vers les années 70), sorte de paradoxe pour un évènement qui semble avoir comme objectif de pousser l'art actuel vers l'avant. Bien sûr on ne peut s'interdire quelques plaisirs de voir des hommages ou rétrospectives par-ci, des filiations par-là, et quelques interrogations sur l'évolution de l'art contemporain, questions bien légitimes pour une Biennale placée sous le signe de la durée. Mais ce retour en arrière n'a-t-il pas été un peu trop systématique ? N'a-t-il pas entravé quelque peu la stimulation que ce genre d'évènements devrait insuffler aux artistes vivants ? N'aurait-elle pas été trop en accord avec la mouvance globale (et en partie commerciale) de nostalgie actuelle qui tend vers ces mêmes passés ? En cela, la Biennale 2005 paraît n'avoir que partiellement rempli son rôle d'apostrophe entre présent et futur en se penchant trop vers la majuscule étouffante d'un Passé déjà trop vénéré.

Pire, la diffusion de Sleep (1963) d'Andy Warhol dans la première salle de la Sucrière sonnait comme un cliché qui donnait de mauvais pressentiments sur la capacité de la Biennale à nous étonner et à s'inscrire dans le monde contemporain ! Même chose à l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne avec Smile – Film n°5 (1968) deYoko Ono, même s'il est vrai que ce splendide ralenti d'un sourire de John Lennon produit toujours les mêmes effets surprenants sur la perception du temps. Comme une contamination, on eut droit à des expériences films-marathons warholesques pas toujours très inspirés.

C'était le cas de l'entière projection interminable qui avait investit le fort St-Jean. Drôle d'idée déjà d'installer cela dans un lieu si décentré et acoustiquement inapproprié, d'autant plus désagréable que les commissaires avaient eu la mauvaise idée de perturber le son des projections par le mix ambiant de Fred Elalouf qui baignait les autres pièces – ce genre de perturbation fut d'ailleurs monnaie courante dans l'ensemble de cette Biennale, décidément mal organisée d'un point de vue spatial ! La projection du fort St-Jean, élaborée par Jean-Marc Chapoulie, était une accumulation d'extraits de films des années 60-70 (voire 80) de tous genres, plus ou moins issus du courant hippie (lato sensu) : fictions ( Les Idoles , 1968, de Marc'O…), documentaires ( La Part Maudite , 1987, de Christian Vincent ; Rome is Burning – Portrait of Shirley Clarke , 1968, de Noel Burch et André S. Labarthe…), films promotionnels (SNCF, armée…), etc, etc. Une flopé d'ennuis pour interroger de manière trop facile la puissance du temps ? Toujours est-il que l'intérêt était limité. On ne mettra en avant de ce programme qu'un extrait véritablement intéressant : La France au travail (1967), production de l'AFAA destinée à l'époque à promouvoir la France à travers le monde, dans une succession accélérée 360 fois de scènes diverses. Une expérience de la durée à la fois formelle et factuelle, avec en plus le recul chronologique.

Le même double problème de perturbation par accumulation de projections simultanées et de retour en arrière pas forcément intéressant caractérisait le triptyque de documentaires dédiés à Gordon Matta Clark à la Sucrière ( Sous-sols de Paris , 1977 ; Conical Intersect , 1975 ; Office Baroque , 1977). On ne critique pas l'intérêt des œuvres en elles-mêmes mais on reste sceptique quant à la pertinence de leur exposition dans le cadre de cette Biennale. Le retour en arrière ne se limitait d'ailleurs pas aux films et s'avérait parfois très approprié comme les Yellow movies (1970) de Tony Conrad, dont l'intérêt est justement de traverser les âges au fur et à mesure de leur dégradation, ou l'indémodable expérience de Dream House (élaborée pour la première fois en 1962) de La Monte Young et Marian Zazeela, dont on reparlera plus loin.

Autre expérience marathon héritée des 70's, celle de Jonas Mekas (contemporain de Warhol), Hommage à Fernand Léger (2004), avait au moins le mérite d'être un peu plus interactive puisque chaque visiteur devait faire l'effort de reconstituer le film qu'il voulait en naviguant d'un écran à l'autre (sur un total de 12), chacun diffusant 2 heures d'archives familiales de l'artiste. Une œuvre pleine d'intimité donc, mais sans doute un peu trop simpliste. Mais Mekas n'était pas celui qui était allé le moins loin dans l'effort de création. Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla se contentaient d'une sorte de documentaire sans commentaire, Amphibious (Login-logout) (2005), aux apparences écolos primaires : dénoncer sans proposer de solution. Autre duo qui s'est satisfait d'une complaisance affligeante, Philippe Parreno et Rirkrit Tiravanija nous livraient gratuitement leur dialogue culturo-politique conformiste apposé sur une énumération de plans inutiles – même si parfois esthétiques – sans même prendre la peine de sous-titrer en français leur Stories are Propaganda (2005) – on n'en est pas à une arrogance près envers le public ! Même banalité pour Wim Delvoye et ses prétendues webcams filmant ses cochons ( A day at the farm , 2005): seul le soi-disant direct (évidemment que ce n'était pas le cas !) pouvait avoir un intérêt en bousculant la crédulité de chacun.

Le Skiphot de John Bock (2005) pouvait aussi s'apparenter à une œuvre facile mais elle s'avérait pleine d'ironie dans sa parodie (certes longue !) de films d'aventure et de docus scientifiques. Le même artiste nous gratifiait aussi de son Vas-y! (2005), sorte de roue de hamster géante pour humain, avec des meubles et objets collés sur toutes les parois (influence de Dali ?), à l'extérieur de laquelle était projetée une petite séquence représentant la machine en marche filmée de l'intérieur. Dommage de ne pas être allé jusqu'au bout en laissant véritablement la possibilité d'actionner le système tel que cela était indiqué dans le texte explicatif accompagnant l'œuvre, mais c'est tout à fait compréhensif pour raison de sécurité !

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Raphaël Jullien

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