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ANALYSE : la trilogie de l'hiver de Christophe Honoré


En l’espace de cinq films, Christophe Honoré s’est fait un nom dans le cinéma français. Et la principale qualité de ce cinéaste est justement qu’il a su imposer sa signature d’auteur, montrer un cinéma sensible, original mais toujours reconnaissable. En effet, aujourd’hui, combien de réalisateurs peuvent se targuer de faire des films avant tout personnels plutôt que purement divertissants et commerciaux ? Très peu, assurément, et Christophe Honoré est de ceux-là.

Voyons alors ce qui caractérise sa « signature filmique » à travers trois de ses œuvres. En effet, « Dans Paris », « Les chansons d’amour » et « La belle personne » constituent une trilogie. Un lieu, Paris, une saison, l’hiver, un acteur, Louis Garrel et comme trame commune, des personnages égarés dans les méandres de l’amour et confrontés à l’épreuve du deuil symbolique ou réel. Déjà, dans « 17 fois Cécile Cassard » ou « Ma mère », ses précédents films, la difficulté d’aimer et l’épreuve du deuil, Eros et Thanatos, s’entrelaçaient.

Christophe Honoré filme dans cette trilogie trois histoires au fond commun mais en accomplissant la prouesse d’explorer des moyens d’expression très différents : « Dans Paris » est une comédie douce-amère au schéma narratif éclaté; « Les chansons d’amour », comme le titre le suggère, est une comédie musicale enjouée mais non dénuée de gravité; « La belle personne » est une adaptation littéraire moderne de « la princesse de Clèves ».

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«Dans Paris», ou le lent cheminement vers la grâce

« Dans Paris » relate les amours contrariés de deux frères, joués par Romain Duris et Louis Garrel. Le film commence par une scène surprenante, où Louis Garrel s’adresse directement au spectateur pour revendiquer son statut de narrateur. On est tout de suite marqué par le ton franc et direct du film. Avec ce procédé, Honoré peut mener son histoire comme il l’entend, n’hésitant pas parfois à enchaîner les plans de manière assez abrupte, comme par exemple dans les scènes entre Romain Duris et Joana Preiss.

Mais le parti-pris du récit conté par Louis Garrel justifie alors ce procédé. En effet, la succession de plans n’est pas la succession linéaire des différentes étapes de l’histoire mais celle des souvenirs des deux frères. Ainsi, l’histoire se bâtit sur des épisodes toujours importants, toujours émotionnellement forts, jamais anodins. C’est ce qui donne au film un rythme qui ne faiblit jamais et qui sollicite l’attention du spectateur à tout moment. Ce film est à l’évidence le film de transition dans l’œuvre d’Honoré qui va lui permettre de trouver son style propre.

Ses deux premiers films étaient marqués par une violence expressionniste, lynchienne et sensorielle, une certaine trivialité sexuelle et un enlisement dans la spirale dépressive. « Dans Paris », par le passage du témoin effectué entre Romain Duris et Louis Garrel, va au contraire cheminer, après vingt premières minutes de règlements de comptes sentimental, vers une légèreté irrésistible. Les deux chansons interprétées par Romain Duris illustrent bien ce cheminement, du marmonnement de « Cambodia », hit eighties de Kim Wilde, au superbe duo avec Joana Preis sur la chanson d’Alex Beaupain « Avant la haine » qui va préfigurer le style du film suivant.

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«Les chansons d’amour», film-culte générationnel

« Les chansons d’amour » est un véritable ovni. La comédie musicale n’étant pas le genre de prédilection du cinéma français, son choix est extrêmement original depuis la disparition de Jacques Demy. Ce qui est plus surprenant, c’est que les chansons ne servent pas seulement les sentiments amoureux habituels. Ici, Honoré nous parle aussi de la mort, du deuil, de la perte. La comédie musicale prend des aspects de drame musical, ce qui crée immédiatement un fort potentiel d’identification.

Ce film a priori léger n’a rien de vraiment rose et il s’inscrit dans un contexte très réaliste. A ce propos, une scène est particulièrement frappante. La scène de l’ambulance est entrecoupée par des photographies en noir et blanc de l’action des urgentistes. On peut considérer ces instantanés comme des images subliminales anormalement longues, images d’une réalité qu’on refusait de voir mais qu’on est bien obligé d’admettre. Ainsi, ce film est tendre et grave à la fois et n’a rien d’une bluette superficielle.

Avec ce film, Honoré atteint la pleine maîtrise de son style : les chansons commentent et complètent parfaitement le drame en cours et lui donnent à la fois de l’intensité et de la distance. « Les chansons d’amour » est un film aussi important dans le cinéma français d’aujourd’hui que le fut en son temps « Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) » de Despleschin, révélant un auteur indispensable et toute une génération de jeunes comédiens, Louis Garrel en chef de file, Clotilde Hesme, Ludivine Sagnier (déjà vue à maintes reprises chez Ozon mais qui trouve ici une dimension nouvelle de victime sacrificielle), Grégoire Leprince-Ringuet, Alice Butaud, Annabelle Hettmann, etc. Ceux qui passent actuellement à côté de ce film, ne se rendent pas compte qu’une partie de l’histoire du cinéma français s’y est écrite sous leurs yeux. Ils s’y référeront quelques années plus tard, comme le film qui a redonné de l’élan à un cinéma français sclérosé et ne sachant plus filmer la grâce au quotidien.

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«La belle personne», ou la plénitude du classicisme

Dans « La belle personne », transposer un classique de la littérature à l’époque d’aujourd’hui montre bien le côté intemporel de l’amour. A toutes les époques, sous toutes les formes, les ravages sont les mêmes. Ici, Christophe Honoré signe peut-être son œuvre la plus sensible. L’histoire est plus linéaire, les rebondissements moins surprenants, vu que l’histoire est déjà plus ou moins connue… Ce qui rend ce film touchant, c’est le regard que porte le cinéaste sur ses personnages. Filmés de près, les émotions passent souvent dans des regards, des non-dits. En ce sens, la scène de classe où un élève fait un exposé sur un opéra italien est très intense car les émotions sont extrêmement contenues. Sous une musique déchirante chantée par la Callas, l’amour naîtra de regards furtifs, sans mots, sans paroles. Plus tard, déclarer son amour s’exprimera soit par un baiser, soit par une caresse. C’est un cinéma plus physique qu’il nous est donné de voir et donc peut-être plus humain, ce qui lui donne sa valeur inestimable.

Honoré poursuit sur sa lancée des « Chansons d’amour » et construit son film à partir de morceaux de musique qui font avancer de manière discrète l’histoire, « Lucia di Lamermoor » un opéra de Donizetti, « Ti amo », de la variété italienne, « Elle était si jolie » d’Alain Barrière (!!!) et surtout « Way to blue », « Day is done », et deux autres titres de Nick Drake, le fameux auteur-compositeur maudit qui donne tout son romantisme aérien et éthéré au film. Chiara Mastroianni, dans une scène-clin d’œil, joue encore une fois son rôle de passeuse, entre le film d’Honoré et celui d’Oliveira, « la Lettre », tout comme elle faisait le lien entre la génération Despleschin et le clan Honoré dans « les Chansons d’amour ».

De manière symétrique dans cette trilogie, comme « Dans Paris », le film se conclut par « Comme la pluie » une chanson d’Alex Beaupain, l’inséparable complice musical de Christophe Honoré. Honoré trouve ici une plénitude classique qui confine à l’épure et fait de « La belle personne » un de ses plus beaux films et l’un des meilleurs de cette année 2008. Nouvelle « nouvelle vague » à lui tout seul, Christophe Honoré a su tisser un lien avec Louis Garrel qui évoque fortement le tandem Truffaut-Léaud lors de la saga Antoine Doinel. «  La belle personne », ne serait-elle pas la rencontre idéale et fantasmée entre Léa Seydoux, Anna Karina mélancolique, et Louis Garrel, un Léaud jeune qui n’aura jamais été aussi sobre et émouvant ?

Rémi Geoffroy

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