DOSSIER

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ANALYSE : en marche vers la présidentielle


A la ville, ils s’appellent Barack Obama, John McCain, Bill Clinton, Al Gore, John Kerry, et tous ont été candidats à l’investiture de leur parti pour les primaires de la présidentielle américaine. A l’écran, ils se nomment George Clooney, John Travolta, Cliff Robertson ou Henry Fonda, et ils ont incarné des candidats en route vers le 1600 Pennsylvania Avenue. Les acteurs de la vie politique américaine et les comédiens de cinéma exercent un métier quasiment analogue : tous jouent à être quelqu’un d’autre pour arriver à leurs fins, qui à la Maison Blanche, qui au sommet de l’affiche. De temps à autres, ils se croisent pour la bonne cause politique ou cinématographique, lorsque les premiers font semblant d’être des gens du commun pour séduire les électeurs, et que les seconds prétendent être des présidentiables pour pointer du doigt les dérives de la mécanique politique. A l’occasion de la sortie en salles des « Marches du pouvoir », le brillant réquisitoire de George Clooney se déroulant à quelques jours de l’investiture démocrate, portraits de vrais-faux candidats à la présidentielle, héros de films politiques souvent plus cyniques qu’idéalistes.

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« Les Marches du pouvoir » : un candidat réformiste et rassembleur

Plutôt que de se lancer dans une hypothétique carrière politique, George Clooney s’est glissé pour de faux dans la peau de Mike Morris, candidat à l’investiture démocrate pour la présidentielle. Son film décrypte les ultimes journées de la campagne des primaires, avant le vote qui doit le consacrer face à un adversaire au ventre mou.

A côté du très consensuel Pullman, plébiscité par les républicains parce que son absence de positionnement leur faciliterait la victoire, et rejeté en masse par la majorité des électeurs démocrates, Mike Morris incarne le candidat idéal, parce que franc, charismatique et éminemment rassembleur. Une sorte de synthèse entre la jeunesse et le bagou d’Obama, la beauté de John Kennedy et le franc-parler antimondialiste de Montebourg en France. Bref, la perle rare que son conseiller de campagne, le jeune idéaliste Stephen Meyers (auquel Ryan Gosling prête son magnétisme), dévore spirituellement des yeux. Morris est le genre d’homme pour lequel on abandonne une brillante et rentable carrière de consultant pour favoriser son élection ; pas pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il est l’homme dont l’Amérique a besoin pour se relever.

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Le premier discours de Morris, qui ouvre le film, souligne ses qualités d’orateur autant que la force de ses idées. Stephen Meyers, chargé de vérifier le pupitre où se tiendra le candidat, prononce en guise de test les premières phrases de l’allocution qu’il a lui-même rédigée. Et Morris, devant ses auditeurs, de reprendre les exacts mêmes mots ; mais avec une vigueur et une liberté qui gomment immédiatement la crainte qu’il ne soit qu’un pantin déglutissant des sentences toutes faites. Et sans regarder ses notes. « Je ne suis ni chrétien, ni musulman, ni juif, ni bouddhiste. Je crois en la Constitution des États-Unis d’Amérique. » L’argument est implacable. Cet homme qui semble attirer à lui les lumières de la salle, tel un aimant, jongle avec les propositions aussi aisément qu’il flingue toutes les idées reçues, arguant ici de sa volonté de redistribuer les richesses, prophétisant là une fin des moteurs à combustion avant le crépuscule de la décennie. Il y a du JFK dans cet enthousiasme et du Roosevelt dans cette énergie.

Aussi, quand Meyers se voit confronté au pire du cynisme politique, il encourage son poulain à aller jusqu’au bout des tractations les plus viles (en l’occurrence : un poste important promis à un sénateur influent en échange du vote de ses délégués, essentiel pour la victoire à la primaire), et tant pis pour l’immoralité du procédé. Car, en jeu, il y a l’Amérique ; et Washington vaut bien une tromperie. Clooney fait passer la pilule avec aisance tant on croit à son candidat. Mais la subtile répétition d’un mouvement de caméra, un travelling qui suit une stagiaire apportant des cafés à un meeting, en début et en fin de film, augure d’une réitération future des mêmes fourberies, laissant planer une ombre sur la probité du futur président.

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« Primary Colors » : le candidat de l’empathie

Le gouverneur Jack Stanton possède cette qualité rare qu’il sait écouter ses interlocuteurs et faire montre de l’empathie la plus sincère. C’est en le voyant intervenir auprès d’un groupe d’adultes apprenant à lire, c’est en le voyant sangloter en les félicitant pour leur courage, qu’Henry Burton, lui aussi un jeune idéaliste, choisit de se lancer dans la campagne à ses côtés. Le film de Mike Nichols, sorti en 1998, suit, en parallèle, l’évolution d’un scandale sexuel qui déséquilibre les chances de Stanton de remporter l’investiture du parti démocrate, et la désagrégation des idéaux candides de Burton à mesure que son candidat révèle sa part obscure. La performance de John Travolta dans le rôle du gouverneur, son apparence soigneusement travaillée et la nature libidinale du scandale, le tout additionné au contexte politique du film, font de Stanton l’avatar cinématographique à peine dissimulé de Bill Clinton.

Rares sont les œuvres qui plongent aussi profondément dans les tractations politiciennes qui remplissent les coulisses de la parade officielle. Vue par les yeux du citoyen lambda qu’est Burton, hypnotisé par les talents de Stanton, la campagne pour l’investiture – en fait la finale avant la marche vers la Maison Blanche, tant les démocrates sont assurés de remporter l’élection – révèle sa nature de panier de crabes, où tous les coups sont permis pour éliminer un adversaire gênant. Avec l’aisance d’une mise en scène pesée au millimètre, Nichols décrypte les codes et le cérémonial institués du bon candidat à la présidentielle (comme la « psychologie gestuelle » de la main serrée, parfaitement maîtrisée par Stanton, qui ouvre le film), effleurant par l’image ce cynisme politique qui commence par écœurer Burton. Avant qu’il ne fasse le deuil de son idéalisme au profit d’un homme, certes plus calculateur que probe, mais qui promet de mettre les bras dans le cambouis de la société américaine. L’acceptation cynique du mécanisme électoral reste la condition sine qua non pour qu’un homme bon, mais imparfait, accède à la fonction suprême.


« Que le meilleur l’emporte » : le candidat de la probité

Au début du XIXe siècle, Tocqueville assurait que les hommes intelligents se tiennent écartés de la sphère politique, de crainte de s’y salir les doigts. Le beau film de Franklin J. Schaffner, sorti en 1964, tend à entériner ce constat prophétique. Henry Fonda est William Russell, personnage brillamment intelligent, loué pour sa clairvoyance et sa probité. Cliff Robertson est Joe Cantwell, véritable animal politique, assez sûr de lui pour faire preuve d’arrogance et suffisamment charismatique pour se poser en meneur. Le premier est riche, issu d’une famille bourgeoise, et a un faible pour la gent féminine. Le second est né pauvre, s’est élevé seul sur l’échelle sociale en vrai self made man, et a commis en tout et pour tout une unique faute de mœurs dans sa jeunesse. Russell est défensif – toujours souriant et agréable, préoccupé par les droits civiques des Noirs et par les questions sociales –, Cantwell est offensif – son sourire ressemble au rictus d’une hyène, ses attaques portent contre les adversaires traditionnels des conservateurs, les pseudo-communistes en tête. Les deux hommes, rivaux, briguent l’investiture démocrate en vue d’une présidentielle que le parti de l’âne est quasiment assuré de remporter.

Le panorama des présidents américains qui ouvre le film rappelle que les occupants de la Maison Blanche, hors quelques grands hommes, furent parfois des candidats par défaut, élus pour leur aptitude à ne surtout pas faire bouger les lignes. Les deux hommes dont Schaffner dresse le portrait n’en sont pas. Si Cantwell possède l’aplomb de l’attentiste, lui qui se fit connaître en tissant des liens opportuns entre la mafia et les « rouges », Russell est plombé par cette sagesse qui lui interdit de faire des choix trop stricts et trop vifs. Ses hésitations lui ferment les portes de l’investiture lorsque l’ancien président lui refuse son soutien. Russell décide finalement de se retirer de la course en appuyant la candidature d’un troisième larron, obscur personnage extrait du ventre mou du parti démocrate, bonhomme inoffensif situé au centre exact de la ligne qui sépare le trop-prudent du trop-impétueux. Et de nous rappeler que le chef du monde libre est trop souvent le plus consensuel des candidats, par crainte du zèle, et pour que « tout change pour que rien ne change », comme le disait, avec une pointe de cynisme (politique), le prince Salina dans « Le Guépard » de Visconti.

Eric Nuevo

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