PORTRAIT

PETER DINKLAGE

Interprète

Portrait

©HBO

Le nanisme est une particularité physique qui a permis à certain(e)s de faire carrière sur petit ou grand écran : citons Warwick Davis ("Willow", "Star Wars", "Harry Potter"), Hervé Villechaize ("L’Île fantastique", "L’Homme au pistolet d’or"), Mimie Mathy ("Joséphine, ange gardien"), Verne Troyer ("Austin Powers"), Deep Roy ("Charlie et la Chocolaterie") ou encore Michael Dunn ("Les Mystères de l’Ouest"). Mais ces acteurs restent plus connus pour leur nanisme que pour leurs véritables talents de comédien, et leur popularité est souvent attachée à un ou deux rôles plutôt qu’à une filmographie complète – qui a retenu, par exemple, l’unique performance cinématographique de Mimie Mathy dans "Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la Lune ?" (2000) ou le rôle d’enfant guenon (si, si !) de Deep Roy dans "La Planète des singes" (2001) ?

Dire que Peter Dinklage échappe totalement à ces logiques-là serait quelque peu exagéré. Convenons notamment que son nanisme (1,35m), provoqué par une achondroplasie (cause la plus fréquente des nanismes d’origine génétique), lui a évidemment permis d’être choisi pour des rôles réservés aux gens de petite taille. Toutefois, il surpasse sans doute les carrières de tous les autres acteurs nains de l’histoire.

Né en 1969 dans le New Jersey, Peter Dinklage a étudié le théâtre dans le Vermont puis a fait ses premières armes sur les planches. Dès son premier rôle au cinéma, en 1995, il bénéficie d’un personnage qui lui permet de transcender et dépasser son physique particulier. Ce rôle, c’est Tito, personnage secondaire mais ô combien marquant du génialissime "Ça tourne à Manhattan" de Tom DiCillo. Rappelons la scène : un réalisateur, Nick Reve (l’inoubliable Steve Buscemi), filme une scène onirique dans laquelle une femme (Catherine Keener) ne parvient pas à attraper la pomme que lui tend un nain (Dinklage donc) dont la présence symbolise à la fois le rêve lui-même et l’anxiété de la femme en question. Le fameux Tito, agacé de jouer le nain de service, finit par quitter le tournage avec fracas en critiquant l’utilisation stéréotypée des nains au cinéma ! Un début de carrière magistral dont on peut dire qu’il impulse et caractérise la filmographie ultérieure de Peter Dinklage.

Il continue ensuite avec une série de seconds rôles au cinéma et à la télévision, parmi lesquels on retiendra ses interprétations de Frank dans le premier long métrage de Michel Gondry, "Human Nature" (2001), et de Miles Finch dans "Elfe" (2003) de Jon Favreau. Les deux rôles semblent être des prolongements de Tito. Frank ironise sur la façon dont Nathan Bronfman (Tim Robbins) le définit selon son apparence, et son nanisme finit par devenir une sorte de trompe-l’œil dans la mesure où il empêche les autres personnages de percevoir sa « vraie » nature – et comme il y est également l’amant de Lila Jute (Patricia Arquette), ce film contribue aussi à faire de lui un acteur sexy au regard ténébreux. Il poursuit dans la même veine avec Miles Finch, un écrivain irascible qui lance notamment la menace suivante envers Buddy (Will Ferrell) : « Si tu te sens d’attaque, mon pote, traite-moi d’elfe rien qu’une petite fois ! »

Contrairement aux autres nains célèbres du cinéma, la notoriété de Dinklage se bâtit avant tout sur un cinéma indépendant de qualité. Ainsi, en 2003, c’est ce type de cinéma qui constitue le premier grand tournant de sa carrière grâce à "The Station Agent", pour lequel Thomas McCarthy lui offre le premier rôle, privilège rarissime pour les acteurs nains (à l’exception notable de Warwick Davis dans "Willow"). Dans ce film, son personnage solitaire, Finbar McBride, se reconstruit progressivement une vie où les conséquences de son nanisme et du regard des autres finissent par s’estomper au contact de nouvelles rencontres. Dinklage continue ainsi à rendre les nains « normaux ». Cette performance touchante et subtile lui vaut une reconnaissance unanime de ses qualités professionnelles (avec notamment un prix spécial aux Satellite Awards et des nominations aux prestigieux Independent Spirit Awards et Screen Actors Guild Awards), ce qui donne donc un nouvel élan à sa carrière. C’est désormais flagrant : Dinklage est un acteur nain, certes, mais c’est surtout un très bon acteur !

Alors qu’il continue à tourner pour le cinéma (notamment pour Sidney Lumet dans "Jugez-moi coupable" et pour Mark Palansky dans "Penelope"), les séries télés commencent à lui tendre les bras : il joue son propre rôle dans un épisode de la saison 2 d’"Entourage" (2005) et il intègre le casting de la série avortée "Threshold : Premier Contact" (2005) puis celui de "Nip/Tuck" lors de la saison 4 (2006). Le grand public commence à le connaître, d’autant qu’en 2007 il participe à son premier véritable blockbuster cinématographique, "Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian", dans lequel il incarne Trompillon (« Trumpkin » en VO), un des personnages les moins lisses de la saga.

Il ne laisse pas tomber pour autant un cinéma un peu plus confidentiel : Frank Oz lui offre un nouveau rôle décalé dans "Joyeuses Funérailles" (2007), celui de Peter, qui vient réclamer une part d’héritage en échange de son silence sur les relations intimes qu’il entretenait avec le défunt. Une nouvelle fois, Dinklage détourne avec régal les clichés concernant le nanisme : les personnages sont d’abord intrigués par la présence, lors des obsèques, d’un nain inconnu de tous, mais ce n’est finalement pas son apparence physique qui s’avérera dérangeante ! La performance est une nouvelle fois géniale et Dinklage reprend lui-même ce rôle dans le remake tourné par Neil LaBute ("Panique aux funérailles" en 2010).

En 2011, la véritable consécration vient finalement du côté de la chaîne HBO avec la série "Le Trône de fer" (qui reste, soit dit en passant, plus connue sous son titre original : "Game of Thrones"). L’énorme succès international de cette série contribue à faire de Peter Dinklage une véritable star mondiale grâce à son interprétation de Tyrion Lannister, pour laquelle il remporte trois récompenses majeures : un Satellite Award, un Primetime Emmy Award et surtout un Golden Globe. Mieux peut-être, le "New York Times Magazine" le désigne, fin 2011, parmi un groupe restreint de « huit acteurs qui contribuent à faire de la télévision un art »*. Il faut dire que Tyrion Lannister s’impose rapidement comme l'un des personnages les plus fascinants de cette série désormais culte. Méprisé par son propre père à cause de son nanisme, qui le rend indigne de la grandeur familiale, Tyrion n’est toutefois pas banni et peut bénéficier des avantages que lui confère la puissance de sa lignée (ce rôle semble par ailleurs résonner avec les origines de Dinklage lui-même : son arrière-grand-père paternel, issu d’une famille noble de Westphalie, avait émigré aux Etats-Unis en 1890). Comme s’il était un lointain cousin des précédents personnages incarnés par Dinklage, Tyrion cultive une intelligence aiguë, un don pour l'humour (notamment les formes les plus grinçantes comme l’ironie ou le sarcasme) et un art du détournement pour compenser stratégiquement ses faiblesses physiques et faire finalement de son nanisme un atout inattendu.

En poursuivant son petit bonhomme de chemin, Peter Dinklage est devenu un grand comédien – peut-être même un acteur majeur des années 2010, que l’on reverra sur grand écran en mai 2014 dans le prochain volet de la saga "X-Men", sous la direction de Bryan Singer. Même si sa carrière a fait de lui un étendard de la lutte contre les discriminations envers les personnes de petite taille, il ne se sent pas légitime pour donner des conseils, considérant que chacun vit différemment son nanisme selon son histoire personnelle**. Il s’autorise seulement à révéler comment il a fini par accepter lui-même cette différence : « quand vous vieillissez, vous réalisez qu’il vous faut un certain sens de l’humour [et] vous comprenez que [le nanisme] n’est pas votre problème [mais] celui des autres »***. Une phrase qu’auraient pu prononcer Tito, Trompillon ou Tyrion Lannister.

Filmographie sélective

Cinéma

1995 : "Ça tourne à Manhattan" de Tom DiCillo
1996 : "Casses en tous genres" de John Hamburg
2001 : "Human Nature" de Michel Gondry
2003 : "Tiny Tiptoes" de Matthew Bright
2003 : "The Station Agent" de Thomas McCarthy
2003 : "Elfe" de Jon Favreau
2005 : "Lassie" de Charles Sturridge
2006 : " Jugez-moi coupable " de Sidney Lumet
2006 : "Penelope" de Mark Palansky
2007 : "Joyeuses Funérailles" de Frank Oz
2007 : "Underdog, chien volant non identifié" de Frederik Du Chau
2008 : "Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian" d’Andrew Adamson
2010 : "Panique aux funérailles" de Neil LaBute
2010 : "Pete Smalls Is Dead" d’Alexandre Rockwell (également producteur)
2011 : "A Little Bit of Heaven" de Nicole Kassell
2012 : "L’Âge de glace 4 : la dérive des continents" de Steve Martino et Mike Thurmeier (doublage)
2014 : "X-Men : Days of Future Past" de Bryan Singer

Séries télévisées

1995 : "Seinfeld" – 1 épisode (voix, non crédité)
2001 : "The Street" – 1 épisode
2002 : "New York 911" – 1 épisode
2005 : "Entourage" – 1 épisode
2005 : "La Vie comme elle est" – 2 épisodes
2005-2006 : "Threshold : Premier Contact" – casting principal
2006 : "Nip/Tuck" – 7 épisodes de la saison 4
2009 : "30 Rock" – 1 épisode
2011-2013 : "Le Trône de fer" (ou "Game of Thrones") – casting principal

* « A Gallery of Masters – Eight actors who turn television into art » , "New York Times Magazine", 8 septembre 2011
** Voir « Peter Dinklage Was Smart to Say No », "The New York Times", 29 mars 2012
*** « Peter Dinklage lives large » , "Today", 2 octobre 2003

Raphaël Jullien
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