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Dane, son petit frère Lucas et leur mère arrivent de New York pour s’installer dans une petite ville de banlieue, Bensonville. Les deux garçons sont promis à une existence parfaitement ennuyeuse, si ce n’est la jolie voisine d’à côté, Julie, pile poil de l’âge de Dane, ainsi qu’un mystérieux trou dans la cave, qui ne semble n’avoir pas de fond et qui a une fâcheuse tendance à faire disparaître les objets que l’on y glisse…
Sortie directe en DVD et Blu-ray 3D le 5 octobre 2012, éd. CTV
Six ans après un discutable « Les Looney Tunes passent à l’action », « The Hole » marque le retour du réalisateur des « Gremlins » et de « Hurlements » à la mise en scène de cinéma, avec la manière et en 3D qui plus est. C’est donc avec frustration que le public français devra se contenter d’une sortie direct-to-DVD et d’un visionnage dans un format classique, sauf à profiter de l’une des rares projections organisées sur grand écran. Le sort réservé à Dante est d’autant plus incompréhensible que le cinéaste a toujours joui chez nous d’un accueil flatteur, tant auprès des spectateurs que de la critique, et qu’il a encore été récemment célébré par une superbe édition Blu-ray de « Panic sur Florida Beach » chez Carlotta ainsi que par la sortie d’un essai critique de Frank Lafond chez Rouge Profond. Ce traitement est peut-être symptomatique du trouble qu’occasionne chaque fois la sortie d’un opus dantesque, difficile à classer et trop souvent affecté naïvement à un public jeune – comme ce fut le cas pour « Small Soldiers », petite perle de cinéma initiatique injustement vendue comme un ersatz des produits Disney. Pas sûr que « The Hole » fasse changer d’avis les contempteurs du réalisateur ; mais nul doute, non plus, qu’il satisfera ceux qui le suivent avec enthousiasme.
Dans son livre sur Joe Dante, “L’art du je(u)“, Frank Lafond définit l’œuvre du réalisateur comme étant un cinéma de l’« allusionnisme », c’est-à-dire un cinéma de la référence destiné avant tout aux cinéphiles capables d’en décrypter les signes cinématographiques. « The Hole » ne fait pas exception à cette lecture dantesque : on y retrouve autant du style propre à Dante, notamment dans la description ironique de la belle banlieue américaine, proprette sous tous rapports avant de révéler ses tourments internes, que de cette riche intertextualité qui plaît tant aux cinéphiles nostalgiques pour lesquels le bon cinéma fantastique s’est arrêté à la frontière des années 80 et 90. Moderne dans sa forme – Dante utilise à bon escient les perspectives (littérales) de la 3D et de la caméra numérique –, « The Hole » n’en reste pas moins un vivier de formes et de figures mythiques tirées du film de genre, depuis l’attaque d’un clown tout droit extrait de « Poltergeist » jusqu’à l’esthétique baroque du monde des cauchemars qui renvoie au segment réalisé par Dante pour « La Quatrième dimension – le film », celui du jeune Anthony tenant sa maisonnée prisonnière de ses fantasmes.
On l’aura compris, « The Hole » ne réinvente pas l’œuvre de Dante mais prolonge cette divine comédie qu’il construit, cercle après cercle, depuis sa naissance symbolique dans l’écurie Spielberg. Nous sommes toujours invités à pénétrer dans un monde de jeu qui reproduit, par la mise en abyme, celui de la salle de cinéma. Les jouets ont certes changé – téléphones portables et caméra HD ont remplacé les babioles électroniques des gamins de « Explorers » ou les bidasses parlantes de « Small Soldiers » – mais la scène du divertissement reste la même : dans la cave où se dissimule le trou du film, que l’on pourrait croire fabriqué par la société ACME tant il semble avoir été posé là, le rayon lumineux venu de la fenêtre métaphorise évidemment le pinceau diaphane qui s’échappe du projecteur pour aller s’écraser contre l’écran de la salle de cinéma, transformant de facto le souterrain en Caverne platonicienne, lieu de projection des fantasmagories humaines.
Cette lecture semble d’autant plus prégnante que le trou sans fin symbolise, chez Dante, les profondeurs insondables de la psyché humaine, inlassablement exposées aux yeux du spectateur. Dès lors, il faut considérer le film comme une fenêtre ouverte sur une profondeur au moins double, sinon triple : la cave en tant que réceptacle référentiel du spectateur, chambre obscure baignée par la lumière de la fiction où peuvent s’exprimer à plein les chimères cathartiques du regardant ; le trou infini comme symbole de l’imaginaire, notamment enfantin – car il est nécessaire de le vaincre pour espérer franchir le seuil de l’âge adulte véritable, y compris pour les adolescents que sont Dane et Julie. Et pourquoi pas, en plus, la fâcheuse tendance qu’a le trou à se rouvrir sans cesse, envoyant valser trappe et meubles posés dessus, en tant que métaphore de l’auto-régénération du psychisme humain qui ne se laisse jamais sceller. Il faut dire que le statut de ce trou est multiple et qu’il pourrait aussi bien être la métaphore de l’impossible personnification du public, néanmoins présent au fond du gouffre tel un panel spectatoriel absolu – d’où la présence de cet œil qui, à l’intérieur du trou, regarde cette caméra qui elle-même l’observe, scène que l’on aperçoit à travers un écran de télévision.
Qu’on se rassure, « The Hole » n’a rien d’un pensum sur l’imaginaire et la place du spectateur dans la fiction. Efficace et démonstratif, Dante y renoue avec son goût de la critique du conformisme – derrière la couche d’idéalisme dont est revêtue Bensonville affleurent des souvenirs morbides qui activent le pouvoir du trou – et le parcours initiatique de ses personnages, jeunes comme adultes. Chez Dante, la cellule familiale est souvent éclatée, et les éléments fantastique qui l’entourent se proposent de la recomposer métaphoriquement : le Mogwaï de « Gremlins », les Gorgonites de « Small Soldiers », les Toons animés de « Looney Tunes ». Dans certains cas, ces éléments venus d’ailleurs tentent au contraire de briser ce qui reste de famille : ici, au fond du « trou », le souvenir trop vivace d’un être que l’on tente d’oublier, et dont le retour menaçant pèse sur le reste du groupe. En s’appuyant sur un scénario malin de Mark L. Smith et sur une série d’interprétations impeccables, Dante réactive le lit de nos peurs enfantines (la séquence de duel entre Lucas et la marionnette de clown est glaçante) avec le remarquable soin esthétique qu’on lui connaît, y ajoutant une pincée d’humour et une larme de nostalgie au milieu d’un océan de nouveauté technologique – le bon vieux Dick Miller, seconde rôle récurrent, apparaît brièvement dans la peau d’un livreur de pizza comme l’assurance que la famille Dante reste au complet. Rien à dire, dans « The Hole », il n’y a rien à mettre au trou.
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